Le Marais, qui est aujourd’hui l’un des quartiers historiques les plus animés de Paris, naît des marécages au XVII° siècle, lorsque la noblesse du Grand Siècle en fait son lieu de résidence.
Le Marais connaît certes une urbanisation progressive et mesurée au Moyen-Age et à la Renaissance – l’ordre du Temple s’y installe, le roi Charles V s’y sent plus en sécurité qu’au Louvre (l’hôtel de Clisson, construit en 1371 et l’hôtel de Sens, achevé en 1519 offrent deux rares vestiges de l’architecture privée gothique et Renaissance) mais le quartier ne prend réellement son essor qu’avec l’aménagement de la place des Vosges à l’initiative du roi Henri IV, de 1607 à 1612.
La place des Vosges (anciennement Place Royale) est la première des places royales monumentales de Paris – avec la place Dauphine, la place des Victoires, la place Vendôme et la place de la Concorde – et est utilisée comme telle pour les cérémonies officielles, notamment le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche en 1660.
La place des Vosges a la particularité d’être une place carrée, presque fermée, aux façades identiques faites de brique rouge et de pierre blanche. Le Pavillon du Roi, au Sud, fait face au Pavillon de la Reine au Nord et le reste de l’ensemble est composé de trente-six hôtels particuliers qui cachent leurs profondeurs, leurs cours et leurs jardins derrière l’ordonnancement symétrique de la place. L’hôtel de Sully en est le meilleur exemple.
La Place est vite investie par les hommes d’Etat (Richelieu s’y installe brièvement) et les grands aristocrates.
Marie de Rabutin-Chantal – future marquise de Sévigné – y naît en 1626.
Marion Delorme y abrite sa vie de courtisane de 1639 à 1648 et règne sur la vie galante parisienne avec une autre dame du Marais – Ninon de Lenclos. L’on dit Marion plus belle, mais Ninon plus spirituelle.
Ninon de Lenclos, qui réside rue des Tournelles à partir de 1667, est une femme libre, indépendante et cultivée. Elle est musicienne, versée dans les sciences et les lettres et parle plusieurs langues. Son salon accueille notamment La Rochefoucauld, La Fontaine, Charles Perrault, Racine et sa maîtresse Marie Champmeslé et la légende veut que Louis XIV, qui connaissait sa sagesse mais qui ne l’avait jamais rencontrée demanda souvent à propos de tout et de rien : “et qu’en pense la belle Ninon ?”.
Au-delà de la place des Vosges, tout ce que compte le pays de politique, noble, littéraire ou galant investit le quartier du Marais dès 1620.
Et de fait, les hôtels particuliers, qui sont de toute beauté, jalonnent le quartier qui devient éminemment aristocratique pendant près de deux siècles, avant d’être ultérieurement abandonné pour le Faubourg Saint-Germain et le Faubourg Saint-Honoré, plus proches de Versailles et du pouvoir.
Le premier ministre Sully s’installe en 1634 dans l’hôtel particulier qui communique via les jardins avec la place des Vosges et qui porte encore aujourd’hui son nom, même s’il l’a peu habité.
L’hôtel de Saint-Aignan (qui abrite aujourd’hui le MAHJ) est achevé en 1650 pour le compte de Claude de Mesmes, comte d’Arvaux, qui sert Richelieu et Mazarin dans les négociations des traités de Westphalie.
L’hôtel de Guise (l’actuel hôtel de Rohan-Soubise, qui abrite les Archives Nationales) est au Grand Siècle l’épicentre de la vie parisienne sous l’égide de Marie de Guise, qui y organise des fêtes somptueuses et qui y reçoit artistes et érudits, comme le dramaturge Corneille, le musicien Charpentier, le poète Malherbe ou l’historiographe Gaignières.
L’hôtel de Carnavalet accueille Madame de Sévigné, la célèbre épistolière, de 1677 à 1696. Sa volumineuse correspondance jette une lumière lucide et souvent drôle sur son temps et ses contemporains.
Molière vit dans le quartier et les Précieuses qu’il tournera plus tard en ridicule sont pourtant des femmes cultivées, indépendantes, versées autant dans les sciences et les lettres, que dans la Carte du Tendre.
A l’instar de Ninon de Lenclos, Mademoiselle de Scudéry installe son salon dans le Marais en 1670. Situé rue de Beauce, celui-ci devient rapidement très réputé et elle y accueille régulièrement Madame de La Fayette, Madame de Sévigné, La Rochefoucauld ou encore Jean Chapelain, pour n’en citer que quelques uns. Elle exhorte les femmes à parfaire leur éducation, s’oppose au mariage – elle restera d’ailleurs célibataire jusqu’à la fin de sa vie – et ouvre la voie, avec Madame de La Fayette, du roman introspectif.
Les empoisonneuses s’installent également dans le Marais, comme la marquise de Brinvilliers qui vit rue Charles V (ancienne rue Neuve Saint-Paul) et qui côtoie la bonne société du Marais. Après un long procès, la marquise de Brinvilliers est décapitée en place de Grève en 1676. Pour citer Madame de Sévigné à propos de la marquise de Brinvilliers qui avait empoisonné à petit feu son père, ses deux frères et sa soeur afin de capter l’héritage familial :
assassiner est le plus sûr […], c’est une bagatelle en comparaison d’être huit mois à tuer son père, et à recevoir toutes ses caresses et toutes ses douceurs, où elle ne répondoit qu’en doublant toujours la dose”.
A deux pas de l’église Saint-Paul aujourd’hui disparue, la majestueuse église Saint-Louis, de style baroque italien, est consacrée en 1641 sur la rue Saint-Antoine. Madame de Sévigné y assiste aux sermons du célèbre jésuite Bourdaloue et Charpentier y est maître de musique de 1688 à 1698.
Et puisque l’on évoque la rue Saint-Antoine, celle-ci marque la frontière invisible mais pourtant incontestable entre deux quartiers du Marais : le quartier de la place des Vosges au Nord et le quartier Saint-Paul au Sud de l’artère.
Saint-Paul (autrefois appelé Saint-Pol), plus confidentiel, plus calme, plus ancien, a su préserver son charme villageois. Les rues sont rythmées d’allées piétonnes transversales à peine indiquées, qui permettent de découvrir ce quartier côté cour et côté jardin.
L’hôtel de Sens, qui abrite aujourd’hui la bibliothèque Forney, reste l’un des rares exemples d’architecture gothique privée – avec l’hôtel de Cluny. Charles V l’a préféré au Louvre et la reine Margot – l’épouse d’Henri IV et héroïne d’Alexandre Dumas – y a séjourné quelques temps.
Le 19 Mai 2023