L’un des plus beaux hôtels particuliers de Paris – l’hôtel de Saint-Aignan – abrite depuis 1998 les immenses collections du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (MAHJ). Niché dans le Marais, rue du Temple, le MAHJ, qui est le digne héritier du musée d’art juif de la rue des Saules créé en 1948 par des survivants de la Shoah, rassemble en effet plus de 12.000 œuvres et d’innombrables archives retraçant deux mille ans de judaïsme.
Le choix du quartier n’a rien d’anodin puisque le Marais abrite depuis la fin du XVIIIe siècle une importante population juive venue des régions rhénanes puis d’Europe centrale et orientale. Après la décolonisation, les populations juives du Maghreb sont venues revivifier une présence décimée par la Shoah. L’hôtel de Saint-Aignan a lui-même d’ailleurs abrité de nombreux ateliers de chapeliers, de fourreurs et de tailleurs juifs.
Si l’on doit évoquer le Marais, la rue des Rosiers est emblématique de la présence de la communauté juive à Paris. Les delis, boulangeries et boucheries cacher sont nombreux et le souvenir du restaurant Jo Goldenberg au 7 rue des Rosiers restera à jamais vif à cause d’un attentat antisémite en 1982, même si le restaurant a définitivement fermé en 2006.
L’ancien hammam Saint-Paul situé au 4 rue des Rosiers a disparu également, mais sa façade de granito rouge se laisse encore admirer.
La rue Ferdinand-Duval s’appelait avant la rue des Juifs – et le procureur général des Juifs au temps de Charles V y était installé, dans l’hôtel Manessier de Vesoul. Le nom de la rue fut changé en 1900 à la demande de ses habitants, pour prendre son nom actuel.
La synagogue Agoudas Hakehilos au 10, rue Pavée, qui a été inaugurée en 1914, bénéficie d’une très belle façade d’Hector Guimard (l’architecte des entrées de stations de métro).
La synagogue des Tournelles au 21 bis rue des Tournelles bénéficie quant à elle d’une imposante façade ornée d’une large rosace.
Enfin, le Mémorial de la Shoah situé au 17 rue Geoffroy-l’Asnier regroupe de nombreuses archives relatives au sort juif pendant la Seconde Guerre Mondiale – ce que le MAHJ n’a pas vocation à faire.
Voici pour le quartier du Marais, qui a, vous l’aurez compris, toujours été animé par une communauté juive importante.
Evoquons à présent l’hôtel de Saint-Aignan, qui abrite le MAHJ. Cette superbe demeure est bâtie par l’architecte du roi Pierre Le Muet en 1650 pour le compte du surintendant des finances de Mazarin, Claude de Mesmes. Il gardera néanmoins pour la postérité le nom de son second propriétaire, le duc de Saint-Aignan, qui le rachète en 1688 et le réaménage.
La cour d’honneur, qui est légèrement rectangulaire afin d’apparaître visuellement parfaitement carrée selon les canons de l’époque, accueille aujourd’hui une statue du capitaine Alfred Dreyfus avec son sabre brisé.
Le corps de logis principal du fond est entouré de communs à droite et d’une aile droite dite « en renard », c’est-à-dire ornée de pilastres et de fausses fenêtres mais sans profondeur aucune – pour le seul besoin de la symétrie de l’ensemble des bâtiments.
Le vestibule, traité à l’antique avec niches et pilastres, précède le grand escalier, qui est absolument magnifique avec sa perspective en trompe l’œil sur la calotte.
La salle à manger – qui accueille maintenant la librairie – est ornée d’un décor mural fragmentaire superbe, qui ne peut évoquer que l’Antiquité.
En 1792, l’hôtel de Saint-Aignan est saisi et mis sous séquestre par les révolutionnaires.
A partir de 1842, il est destiné au commerce, puisque de nombreux artisans juifs immigrés de Pologne, de Roumanie et d’Ukraine y installent leurs boutiques et ateliers.
Lors des rafles de 1942, plusieurs personnes vivant dans son enceinte sont arrêtées et déportées. Treize de ses habitants trouvent la mort dans les camps de concentration.
La Ville de Paris rachète l’hôtel de Saint-Aignan en 1962 et le dédie en 1998, après plusieurs campagne de travaux, à l’installation d’un musée consacré à la civilisation juive : c’est ainsi que naît le MAHJ.
Parlons donc à présent du MAHJ. Les collections retracent l’histoire de la culture juive depuis le Moyen-Age jusqu’au XX° siècle. La diversité et l’unité des communautés juives ashkénazes et séfarades se mêlent dans toutes leurs richesses et complexités.
L’Affaire Dreyfus, qui est également documentée par un fonds documentaire de 2.700 pièces, évoque une France à feu et à sang, déchirée entre les partisans d’un capitaine accusé à tort de trahison d’Etat au profit de l’Allemagne et une opinion publique anti-dreyfusarde et antisémite chauffée à blanc par l’extrême-droite.
Le capitaine Alfred Dreyfus, juif alsacien, est accusé en 1894 d’avoir livré des secrets militaires à l’Allemagne. Condamné à la déportation, il est dégradé le 5 janvier 1895. L’action politique et médiatique du camp dreyfusard permet au fil des mois de découvrir que le véritable traitre est le commandant Esterhazy. Le 13 janvier 1898, Emile Zola, qui compte parmi les écrivains les plus traduits au monde, publie « J’Accuse », dans le journal L’Aurore, ce qui donne à l’Affaire Dreyfus une dimension internationale. Condamné, Zola se voit contraint de s’exiler en Angleterre, tandis que la France continue à se déchirer dans un climat de haine antisémite. Le 12 juillet 1906, Alfred Dreyfus est enfin déclaré innocent par la Cour de Cassation et réintègre l’armée avec le grade de commandant. Esterhazy, lui, ne sera jamais condamné.
La stigmatisation de la communauté juive, déjà forte dans les années 1880, est incontestablement amplifiée par l’Affaire Dreyfus.
De manière plus légère et contemporaine, la présence de toiles peintes par Chagall, Soutine et Carp rappellent la vitalité de l’Ecole de Paris.
Esther Carp, qui ne datait jamais ses toiles, fut internée à plusieurs reprises pour psychose délirante paranoïaque. Pourtant, rien de ne transparaît de ses tourments sur ses toiles aux couleurs joyeuses.
Le 10 Février 2023