Il y a des films qui parlent d’argent et des films qui parlent d’amour. Il y a aussi des films qui parlent d’argent et d’amour (et ça s’appelle souvent des films noirs).
Le “Dracula” de Francis Ford Coppola, qui date de 1992, n’a rien à voir avec un film noir, même si ses personnages sont enveloppés par l’obscurité et la noirceur. “Dracula” pourrait se cantonner au genre du film d’horreur, au film de vampires, et il n’en est pourtant rien.
Le gothisme romantique qui irrigue “Dracula” en fait un film d’amour éternel et de rédemption (on l’appellera ici en français “Dracula” parce que son titre complet en anglais est “Bram Stoker’s Dracula” pour des raisons purement juridiques de droits car certains studios avaient en 1992 et ont peut-être aujourd’hui encore le monopole de l’appellation simple de “Dracula”).
“Dracula” est un film onirique, opulent, tragique et romanesque.
1492 en Transylvanie. Vlad Dracula (incarné par Gary Oldman) est un noble roumain parti en guerre pour défendre la chrétienté contre les Turcs. Son épouse adorée, Elisabeta (portée par Winona Ryder) restée au château, reçoit un message trompeur annonçant la mort au combat de son époux bien-aimé. Elle se suicide, et de fait, se voit refuser les saints sacrements. Vlad, bien vivant et fou de douleur, renie le Christ. Il devient le damné Dracula.
1897 en Angleterre. Jonathan Harker (interprété par Keanu Reeves), jeune clerc de notaire ambitieux, doit partir en Transylvanie afin d’accompagner son client, un mystérieux comte roumain, dans l’acquisition d’un domaine londonien. Il laisse à Londres sa fiancée Mina pour partir voir ce comte dont le dossier a déjà rendu fou un son prédécesseur.
Jonathan comprend vite une fois sur place qu’il y a de quoi s’alarmer : le comte, un vieillard affreux et terrifiant, a un comportement des plus inquiétants et semble obsédé par le portrait de Mina que Jonathan a emporté avec lui. Et pour cause : le vieillard n’est autre que Dracula et Mina a très exactement les mêmes traits qu’Elisabeta (puisque Winona Ryder interprète les deux rôles).
Le comte emprisonne Jonathan dans son affreux château et navigue vers Londres. Il navigue surtout vers Mina en qui il voit son amour perdu, Elisabeta. Comme il a emporté avec lui de nombreuses caisses de terre de sa patrie natale, il s’y régénère et arrive à Londres paré d’une nouvelle jeunesse.
Il a beau être jeune et avoir les traits d’un Gary Oldman plus que troublant, il n’en demeure pas moins un vampire sanguinaire et tue – par nécessité ou seul désir, on ne sait – quelques personnes, dont la meilleure amie de Mina, la sensuelle Lucy.
Van Hesling (interprété par Anthony Hopkins), le chasseur de vampires, entre en scène et se fait fort d’anéantir le vampire, qui lui, n’est obsédé que par la conquête amoureuse de Mina, en qui il voit son amour éternel.
Le romantisme le plus pur côtoie l’horreur la plus sanglante et le gothisme décadent du film en fait un objet visuel totalement ensorcelant.
Certains plans sont d’une beauté absolue – je pense notamment aux costumes pour lesquels Eiko Ishioka a reçu un Oscar, je pense également encore aux scènes en ombres chinoises, je pense encore à une scène tournée avec une caméra datant du début du XXème siècle, je pense enfin au symbolisme et aux nombreuses références à “La Belle et la Bête” de Jean Cocteau, à Gustave Moreau et à Gustav Klimt dont la toile du Baiser est reproduite en robe. Je pense encore à la musique composée par Wojciech Kilar, qui est absolument envoutante.
Au-delà de la chasse aux vampires elle-même et des débats sur l’ego et la volonté de surpasser son dieu, sur le Bien et le Mal – qui sont les thématiques développées dans le roman de Bram Stoker publié en 1897, l’intrigue la plus intéressante du film est à mon sens la relation entre Dracula et Mina, que Francis Ford Coppola créé de toutes pièces car elle n’existe pas dans le roman d’origine.
Coppola fait de Dracula un être certes maudit et monstrueux, mais également et primairement un être sensible, doué de sentiments amoureux profonds, victime de son élan premier de rage et de folie et finalement animé par les scrupules de l’amour et les regrets. Sa dernière geste sera de finalement demander le repos éternel.
Les scènes qui réunissent Dracula et Mina sont émouvantes et charnelles et le feu de la passion qui embrasse les amants est d’une évidence absolue : je pense notamment à la scène de leur première rencontre où ils marchent l’un à côté de l’autre et durant laquelle on devine Dracula lutter contre l’envie irrépressible de mettre sa main sur la taille de sa bien-aimée – le bras restera suspendu sans vraiment toucher la toile de la robe de Mina. Je pense également aux scènes ultérieures plus intimes où Coppola ne suggère pas la passion charnelle mais l’expose finalement très clairement même s’il ne s’agit pas à proprement parler de scènes sexuelles.
Il faut dire que les références à l’étouffement des corps et des pulsions féminines parsèment le film – et ce dès la première scène qui réunit Mina et son fiancé Jonathan au tout début du film : c’est Mina qui embrasse fougueusement son fiancé qui doit partir au loin en Transylvanie – finalement le fiancé a l’air presque embarrassé par cet accès de sensualité.
Leurs tailles féminines sont évidemment étranglées par les corsets victoriens, leurs esprits sont éteints par les convenances de la société victoriennes, mais il n’en demeure pas moins que Mina et son amie Lucy brûlent d’une curiosité et d’une sensualité réprimées qui leur font lire “les Mille et une nuit” agrémentées de gravures érotiques ou de flirter outrageusement avec plusieurs prétendants à une même soirée.
L’arrivée de Dracula dans la vie de Mina et Lucy fait finalement exploser ce carcan sociétal qui prive ces deux femmes de toute vie sensuelle et c’est bien en réaction inconsciente à cette répression internalisée que l’appel de la chair n’en est que plus violent.
Pour célébrer Mina, me voici donc dans une robe rouge qui ne peut que rappeler celle que porte Mina lorsqu’elle cède à l’amour éternel et maudit de Dracula. Le serpent porté en pendentif en appelle autant au péché originel qu’à l’élan de vie vitale.
Menée par ses passions incompressibles, Lucy fait l’amour avec le démon, dans une scène d’une beauté irréelle et Mina, plus sage, a beau lutter contre sa propre sensualité, mais elle finit d’autant plus vaincue que l’amour profond s’ajoute à son attirance.
Mina et Lucy sont d’ailleurs souvent habillées de vert, couleur de l’espoir selon certaines cultures, mais aussi couleur de la mort, du libertinage et du diable, selon d’autres. Et il faut bien l’avouer, il y a de tout cela en Mina.
Il faut dire que “Dracula” a fait l’objet d’une préparation minutieuse de la part de Coppola, un storyboard précis du film fut édité en amont et une séance de lecture du roman de Bram Stoker fut organisé avec ses acteurs.
Tant pour des raisons budgétaires qu’artistiques, Coppola avait souhaité faire un film selon les canons en vigueur au début du cinématographe. Après avoir renvoyé l’équipe dédiée aux effets spéciaux numériques proposée par le studio, il fit appel à son fils Roman afin de créer des effets spéciaux “à l’ancienne” : des bâtiments miniatures, une scène de guerre sanglante tournée en ombres chinoises, une autre tournée à l’envers, une autre encore qui se veut d’époque 1897 réellement tournée avec une caméra ancienne.
Un tel parti pris confère une poésie incontestable au film – alors même que l’on parle d’un film de vampires. L’ajout de la relation amoureuse entre Dracula et Mina donne une toute autre dimension au film qui va bien au-delà du genre.
Robe Twinset – Escarpins Manolo Blahnik – Ceinture Dior – Pochette vintage chinée chez Marcelle et Jeannette – Éventail Lanvin