Johann Heinrich Füssli, auquel aucune exposition n’avait été consacrée à Paris depuis 1975, fait son grand retour au musée Jacquemart-André jusqu’au 23 janvier 2023.
L’univers de ce pasteur suisse devenu peintre britannique est absolument saisissant et illustre parfaitement le mouvement artistique du romantisme noir, qui, à partir des années 1760-1770, évoque la part d’ombre qui se dissimule sous l’apparent triomphe des Lumières.
Les Lumières et la Raison n’ont en effet pas droit de cité dans les œuvres de Füssli. Les thèmes abordés par le peintre puisent leurs sources dans la Bible, la mythologie et les œuvres peuplées de morts et de spectres de Shakespeare. Et de fait, les œuvres de Füssli sont fantastiques et oniriques, mais également cauchemardesques et grotesques.
Les fantômes n’ont de cesse de hanter les vivants et le monde invisible s’invite souvent, maléfique, dans le monde visible, qui sort souvent inquiet et exsangue de cette rencontre.
La terreur et l’horreur sont omniprésentes dans les expressions de ces vivants saisis d’effroi – et il est étonnant d’y voir la main d’un pasteur devenu peintre (ou peut-être est-ce cette première vocation qui explique son œuvre artistique).
Né en 1741 en Suisse, Johann Heinrich Füssli est destiné par son père peintre et historien d’art à une carrière de pasteur. Après avoir été ordonné pasteur en 1761, il doit pourtant quitter la Suisse pour avoir dénoncé avec un ami la corruption d’un puissant magistrat – corruption qui sera avérée ultérieurement.
Füssli visite une première fois l’Angleterre en 1765. Le peintre et président de la Royal Academy Joshua Reynolds, qui a pu examiner ses dessins, lui conseille de se consacrer entièrement à la peinture. De fait, Füssli part, dans les années 1770, pour un long pèlerinage en Italie, où les œuvres de Michel-Ange laissent une empreinte durable sur son traitement des corps et des compositions.
Füssli revient en 1779 en Angleterre et entreprend de concurrencer l’ancien maître Joshua Reynolds, en présentant en 1781 sa propre version de “La Mort de Didon”, peint par Reynolds quelque temps auparavant.
Il est élu membre de la Royal Academy en 1788, puis académicien en 1790. Il se marie à l’un de ses modèles, Sophia Rowlings mais entretient pendant un temps une relation platonique avec la féministe Mary Wollstonecraft, la mère de la future Mary Shelley – autrice de “Frankenstein”.
Il décède à un âge avancé en 1825 et est enterré dans la crypte de la cathédrale Saint-Paul de Londres.
Le succès que connaît Füssli de son vivant est doublement étonnant : ce Suisse de naissance aura réussi à intégrer un establishment londonien ultra-fermé et son univers onirique et souvent horrifique aura trouvé un large écho dans des cercles artistiques pourtant réputés pour leur académisme.
Il faut avouer que le classicisme irrigue les œuvres de Füssli. Pour autant, il le détourne au profit de thématiques sulfureuses et devient de fait un précurseur du romantisme, un romantisme noir tant dans ses teintes que dans ses thèmes. Les noirs les plus profonds font rejaillir les peaux les plus blanches, illustrant l’opposition entre mondes invisible et visible, entre imaginaire et réalité.
A ce titre, “Le Cauchemar” est l’une des toiles les plus emblématiques du peintre – elle fait scandale lors de son exposition à la Royal Academy et assurera le succès de son auteur. Füssli présente en 1782 une première version de ce “Cauchemar” qui en connaîtra d’autres. L’opposition entre le traitement faussement classique du corps féminin endormi et le grotesque halluciné et hallucinant du cheval et de l’incube est saisissant. La peinture est inquiétante, dérangeante et soulève mille questions. S’agit-il d’une emprise du monde maléfique sur le monde des vivants ? Est-ce un viol ? La position abandonnée reflète-t-elle un cauchemar ou un orgasme ? La toile représente-t-elle la part de l’inconscient ?
A cette dernière question, Sigmund Freud aura choisi sa réponse. Une gravure de l’œuvre de Füssli ornait le cabinet du célèbre psychanalyste viennois.
Le 23 Décembre 2022
Portrait de Füssli par James Northcote – 1778
“La Mort de Didon” – 1781. Füssli s’inspire ici d’un passage de “L’Énéïde” de Virgile. Anéantie par le départ de l’homme dont elle est follement amoureuse, Énée, Didon se donne la mort. Le peintre capture l’instant où son âme est délivrée
“L’Incube s’envolant, laissant deux jeunes femmes” – 1780. Dans la même veine que “Le Cauchemar”, la composition du tableau est néanmoins différente. La victime est laissée hagarde et l’incube s’enfuit par la fenêtre
“Le Rêve de la Reine Catherine” – 1781. Ce tableau représente la scène 2 de l’acte IV de “Henry VIII” de Shakespeare. Après que le roi a demandé le divorce à Catherine d’Aragon, celle-ci, bannie, a une vision de la félicité éternelle avant de mourir. La reine, pâle d’agonie, tendant le bras vers les esprits qui l’appellent
“Le Cauchemar” – Après 1782. Le premier “Cauchemar” que peint Füssli est présenté à l’exposition annuelle de la Royal Academy en 1782 et c’est un vrai scandale, entre fascination, répulsion et incompréhension. En créant une nouvelle forme de terreur gothique, Füssli s’assure un immense succès
“Lady MacBeth somnambule” – 1784. Le moment choisi par Füssli est issu de l’acte V, Scène I de la tragédie de Shakespeare. Après avoir convaincu son époux d’assassiner le roi, Lady MacBeth devient folle. Somnambule, elle hante les couloirs du château. Les trois doigts repliés de la main cachent la tâche de sang invisible, stigmate de ses crimes
“Robin Goodfellow, dit Puck” – 1790. Puck est le lutin facétieux imaginé par Shakespeare dans “Songe d’une Nuit d’Été”. Le petit lutin devient ici immense, par le jeu de la contre-plongée
“Le Songe du Berger” – 1793
“La Vision de Saint Jean et du Candélabre à Sept Branches” – 1796. Les sujets bibliques traités par Füssli sont le plus souvent tirés de ses lecture du “Paradis Perdu” de John Milton. Nul doute que son expérience passée de pasteur vienne également nourrir son œuvre
“Lycidas” – 1799. Füssli représente ici le héros de Milton “Lycidas”, publié en 1638
“Rezia plonge dans la Mer avec Huon” – 1805
“Roméo et Juliette” – 1809