L’exposition présentée au musée Galliera “Frida Kahlo, au-delà des apparences” réunit plus de deux cents effets personnels de l’immense femme et artiste mexicaine, j’ai nommé Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón.
Ces effets personnels, mis sous scellés au décès de l’artiste en 1954 par son mari Diego Rivera, finalement découverts en 2004, mettent en lumière la femme qui voulait uniquement peindre que ce qu’elle voyait. De fait, séparer la femme de l’artiste dans le cas de Frida Kahlo s’avère vain, puisque son art est irrigué par sa vie, par ses souffrances, par ses amours et par ses convictions.
S’il y a bien une personne pour laquelle le mot “transcendance” n’est pas vide de sens, c’est bien cette femme au regard de feu qui a décidé de pleinement vivre envers et malgré tout.
Confrontée à la poliomyélite dès l’âge de 6 ans, celle que ses camarades baptisaient méchamment Frida la boiteuse est victime à 18 ans d’un accident de la route qui lui laissera l’abdomen perforé par une barre de métal.
L’Accident, 1926
Alitée pendant de plusieurs mois, la brillante élève qui se destinait à suivre des études de médecine trouve le salut dans la peinture, grâce au chevalet et au miroir volants que lui offre sa mère sur son lit de convalescence.
Elle trouve également le salut dans la construction d’une identité propre et d’opinions tranchées. Son style personnel, fait de jupes larges et longues et de chemises traditionnelles lui permettent autant de camoufler ses infirmités que d’affirmer son attachement aux traditions mexicaines et au communisme de l’époque.
Elle peint ses corsets orthopédiques, comme en pied de nez au destin qui la voudrait morte à elle-même.
Autoportrait, 1953. Après l’amputation de sa jambe droite, Frida dessine un dernier autoportrait où sa jambe est remplacée par un bout de bois qui ne peut que rappeler le surnom cruel de son enfance et où les flèches évoquent le martyre de Saint Sébastien
« Pourquoi aurais-je besoin de pieds si j’ai des ailes pour voler », 1953. L’amputation de sa jambe droite lui sauve la vie. Les pieds dessinés ici évoquent ceux du Christ
Elle joue avec les codes de la féminité sans jamais en être la dupe.
Elle sait ses traits un peu masculins et s’amuse à s’habiller en jeune homme troublant.
Frida en jeune homme, 1926
Elle désavoue complètement les codes féminins de l’époque qui la voudraient sans duvet, sans mono-sourcil, docile et sans profession.
Portrait, 1926
Autoportrait, non daté
Elle vomit le patriarcat et se veut peintre au même titre que n’importe quel homme qui suivrait la même destinée.
Pour autant, elle sait aussi son charisme et sa féminité et en joue en se parant de fleurs, de bijoux et de couleurs. Elle est forte, elle est belle, ses yeux ne disent rien d’autre que cette volonté d’exister dans toute son intégrité – hors de tout cadre social.
Frida a rapidement appris à prendre la pose devant son père photographe de métier. La photographie a probablement été son premier outil d’expression personnelle
Et de fait, aucun cadre social ne s’applique à Frida Kahlo. Elle vit dans une souffrance physique permanente, elle est femme-peintre, elle se marie puis divorce puis se remarie avec Diego Rivera, grand peintre muraliste de son époque et forme avec celui-ci un couple magnétique.
Photographie de mariage, 1926
A San Francisco, 1931
Elle voyage aux Etats-Unis et déteste la surconsommation qu’elle y entrevoit. Elle voyage en France et déteste l’idée d’être assimilée à un mouvement artistique snob qui s’appelle alors le surréalisme.
Elle tient à son intégrité et ne se laisse jamais embarquer.
Si elle se laisse embarquer, c’est pour Cythère. C’est elle qui vient séduire, du haut de ses 20 ans, le grand maître de 41 ans qu’est à l’époque Diego Rivera. Bien que mariée, elle a par la suite de nombreuses aventures, que ce soit avec Trotsky ou avec l’épouse d’André Breton.
A 19 ans, après l’accident
Portrait de Lucha Maria, 1942
Le « Resplandor » est une coiffe de cérémonie inspirée par les couronnes rayonnantes des statues de la Vierge Marie
Frida avec son neveu et sa nièce. Contre toute attente au vu de sa santé, Frida sera enceinte plusieurs fois mais toutes ses grossesses se concluront par des fausses-couches, à son grand désespoir
Une robe inspirée par Frida – Jean-Paul Gaultier, 1998
Devenue symbole de l’art mexicain de son vivant, Frida Kahlo aura laissé 143 oeuvres, dont 55 autoportraits. Elle aura changé son année de naissance – 1907 – en 1910, non pas par coquetterie mais pour qu’elle coïncide avec l’année de la révolution mexicaine. Elle aura promu son art au même titre qu’un peintre masculin. Ses faiblesses auront été tournées en forces, son plomb en or – par sa seule volonté. Sous couvert d’une embolie pulmonaire, elle aura probablement décidé elle-même de l’heure de son départ, en 1954.
Frida, la trompe-la-mort.
Quel feu dans son regard. A voir jusqu’au 5 mars 2023.
Le 6 Janvier 2023