Parlons de l’hôtel Alfred Sommier, ce bijou au cœur du 8ème arrondissement de Paris. La spécificité de cet hôtel 5 étoiles tient autant à la qualité du service qu’à son histoire : l’établissement est en effet détenu et amoureusement géré par l’un des descendants dudit Alfred Sommier, grand industriel du Second Empire.
Il faut évoquer ici d’Alfred Sommier.
En 1824, quatre frères de province partent à l’assaut de Paris afin d’y développer un atelier de raffinerie de sucre dans une maison familiale située à La Villette. Les affaires prospèrent et le cadet des quatre frères, Pierre-Alexandre Sommier, se marie en 1834 avec sa nièce Anne-Pénélope, qui a quatorze ans de moins que lui, ce qui permet d’agrandir et de consolider son poids dans la société familiale.
Ce type d’alliance peut paraître plus qu’effroyable de nos jours mais il était absolument courant dans les grandes familles de l’époque, car il permettait de ne pas diluer la fortune familiale – les frères Pereire ont fait de même et “Le Docteur Pascal” d’Émile Zola ne décrit rien d’autre qu’une relation incestueuse entre un oncle et sa nièce – sous couvert d’une magnifique histoire d’amour. Les normes changent avec le temps, n’est-ce pas, et c’est pour le mieux.
Alfred naît en 1835 à La Villette. Ses immenses facultés intellectuelles et son aisance sociale le placent à 18 ans à la tête de la raffinerie de sucre familiale, qu’il ne cessera de faire prospérer, devenant l’acteur principal du marché devant Say et Lebaudy, que la famille rachète.
Alfred Sommier jeune
Homme de bonnes manières autant reçu faubourg Saint-Honoré que faubourg Saint-Germain, Alfred se marie en 1872 avec Jeanne de Barante, fille du baron Prosper-Claude-Ignace-Constant Brugière de Barante. La fiancée est peut-être épousée sans dot, mais le nom prestigieux assoit la solide et paisible présence d’Alfred Sommier dans le grand monde.
Leur fils Edme nait en 1873, il se mariera en 1902 avec Germaine Casimir-Périer, fille de Jean Casimir Périer, Président de la III° République.
Leur fille Lucie naît en 1874 et épouse en 1897 Robert de Vogüe, dont les descendants gèrent aujourd’hui le fabuleux château de Vaux-le-Vicomte.
Et il faut à présent évoquer Vaux-le-Vicomte.
Alfred Sommier acquiert le majestueux château en 1875. La famille Sommier est peut-être dépourvue de l’ancestralité si chère aux vieilles familles nobles françaises, mais la prospérité familiale s’ancre dans une valeur bien vertueuse – le travail – et le surdoué Alfred ne sera rien de moins que le sauveur de Vaux-le-Vicomte. Le château est à l’époque en piteux état et menace de s’écrouler mais Alfred Sommier tient, en amoureux de l’Histoire et amateur d’art éclairé, à redonner tout son lustre à ce château qui fut autrefois scandaleusement somptueux, causant la mise aux arrêts de son premier propriétaire.
Les travaux sont titanesques, mais la splendeur de Vaux-le-Vicomte est restaurée. Alfred, le mécène discret, se révèle comme à son habitude : un homme sérieux et pragmatique, libre d’esprit – l’affaire Dreyfus le prouvera – un homme de confiance, un entrepreneur qui fait ses diligences, un amoureux des belles choses et du travail bien fait.
Habitant la rive droite de Paris, Alfred court les antiquaires du quartier. Il a l’œil et le goût du beau. Il a ses adresses, ses fournisseurs et la légende veut que son coupé ait souvent été suivi d’un fourgon dans lequel les meubles et objets d’art étaient chargés au gré de ses pérégrinations et de ses acquisitions. Ses trésors trouvent demeure autant à Paris qu’à Vaux-le-Vicomte.
Lui-même, sa femme et ses enfants vivaient à Vaux dans le respect et l’admiration de cette beauté qu’ils recréaient avec des soins pieux sans céder à la tentation d’y susciter le train de vie de jadis.”
Juliette Benzoni, “Cent Ans de Vie de Château”
Il en fait le plus beau château privé de France. Son fils en hérite à son décès mais faute de descendance, le château revient à Lucie et à son mari. La branche familiale de Vogüe est aujourd’hui encore propriétaire de Vaux-le-Vicomte, et les efforts constants de Cristina et Patrice de Vogüe pendant plus de cinquante ans auront fait de Vaux-le-Vicomte le plus beau château privé de France, encore aujourd’hui.
Mais revenons à Paris et au 20 rue de l’Arcade, revenons à l’hôtel Alfred Sommier.
En 1858, bien avant Vaux-le-Vicomte, le père d’Alfred acquiert une grande parcelle près de la Madeleine, afin d’y faire construire un grand hôtel particulier capable d’accueillir toute sa famille. Le quartier est en pleine effervescence, puisqu’il est le théâtre des transformations haussmanniennes.
Le terrain a autrefois accueilli le prieuré des Bénédictines de la Ville-l’Evèque puis l’hôtel de Soubise (le petit). Il va de soi que la future construction doit refléter la prospérité de la famille Sommier et sa construction est donc confiée, sous l’égide d’Alfred, à l’un des architectes les plus réputés de l’époque, Joseph Lesoufaché.
La parcelle est divisée en deux hôtels particuliers jumeaux – Alfred s’installant au numéro 20, son père au numéro 22 de la rue de l’Arcade.
Les travaux durent deux ans et l’ensemble respecte les canons du style haussmannien, avec des façades en pierre de taille, un bâtiment courant sur la rue, une grande cour d’honneur, un bâtiment sur cour et à l’arrière, un jardin bucolique.
Alfred va y vivre de 1860 à 1873, avant de déménager avec sa jeune épousée au 57 rue de Ponthieu.
Alfred Sommier restera toute sa vie l’homme pragmatique, réaliste, amoureux des belles choses, généreux, discret et libre de pensée qui séduira Jeanne. Le luxe ne l’atteint guère, l’argent n’étant jamais une finalité – les photos anciennes de sa chambre spartiate de l’hôtel particulier de la rue de Ponthieu le prouvent – mais un moyen permettant d’aller vers le bien et le beau.
L’hôtel particulier de la rue de Ponthieu avec sa grille sur les Champs-Elysées
Alfred Sommier à Vaux-le-Vicomte
Richard de Warren de Rosanbo, descendant d’Alfred Sommier, comblé par une carrière de grand diplomate puis d’homme d’affaires, décide aujourd’hui de faire revivre le bel hôtel particulier du 20 rue de l’Arcade.
Le bâtiment connaît pendant deux ans d’importants travaux de rénovation, afin d’accueillir en 2018 la clientèle.
Néanmoins les éléments historiques et personnels sont préservés. Les riches moulures, les imposantes cheminées, le parquet en point de Hongrie et les deux escaliers de marbre connaissent une seconde jeunesse. Le monogramme d’Alfred Sommier, composé de ses initiales, orne le garde-corps des escaliers, le piano familial trône dans le salon et les tableaux, photos, documents et livres anciens parsèment les lieux, accompagnés d’œuvres d’art plus récentes.
Et il faut bien l’avouer, cette note personnelle et familiale donne un cachet fou à l’hôtel, où la présence ancestrale de la famille Sommier se laisse deviner.
L’hôtel lui-même, qui se veut confidentiel et intimiste, se laisse deviner également. Ce n’est qu’en traversant la porte cochère que la cour d’honneur, qui recevait autrefois les voitures, se dévoile, accueillante à présent avec ses larges canapés et fauteuils d’extérieur.
Le petit bar chaleureux est décoré de caricatures politiques d’époque.
Le jardin bucolique et intime n’est peut-être pas encore très connu à Paris mais cela ne va pas durer, à mon humble avis.
Les 63 chambres et 17 suites sont typiquement parisiennes et leur décoration associe harmonieusement les éléments décoratifs du Second Empire et la décoration épurée de notre époque moderne.
L’hôtel Alfred Sommier est le seul hôtel parisien détenu et géré par un descendant du premier propriétaire des murs. Les différentes branches de la famille Sommier sont, de près ou de loin, liées à l’histoire de France, qu’elle soit politique – avec le président de la République Casimir-Périer, artistique – avec la danseuse et muse Cléo de Mérode ou historique et patrimoniale, avec la famille de Vogüe et Vaux-le-Vicomte.
C’est étourdissant et merveilleux de se retrouver dans cet hôtel si paisible, avec Richard de Warren de Rosanbo – toujours tellement accueillant, qui vous parle en toute simplicité de ses aïeux, de ses cousins, de Vaux-le-Vicomte ou de Casimir-Périer. Il n’y a pas plus parisien que l’hôtel Alfred Sommier.
Une page d’histoire vivante, que souhaiter de mieux pour un séjour à Paris ?
Le 14 Octobre 2022