GERTRUDE WHITNEY

Si je vous dis “pop art”, vous pensez “Andy Warhol”, n’est-ce pas ? Il faut dire que l’exposition médiatique du chantre de l’art pop aura surpassé tous ses congénères.

Certaines de ses œuvres sont exposées au Whitney Museum à New York. Ce musée, qui est une institution culturelle majeure de l’art contemporain, réunit une immense – peut-être la plus grande – collection d’art pop existante au monde.

Pour autant, je suis au musée Rodin et je ne vous parlerai certes pas ici d’Andy Warhol, tout simplement parce que ni le personnage ni son art ne me touchent particulièrement. Je vais vous parler du Whitney Museum que j’ai dû visiter une vingtaine de fois, et surtout de sa fondatrice, Gertrude Whitney, née Vanderbilt.

(Vous ne voyez pas le rapport avec le musée Rodin. C’est bien normal, à ce stade).

Gertrude Whitney a une double vie : née héritière, elle se vit artiste. Les deux vont difficilement de pair, lorsqu’on est née en 1875 et que l’on est l’arrière-petite-fille du richissime homme d’affaires américain Cornelius Vanderbilt.

L’étendue de la fortune Vanderbilt à l’époque est presque impossible à concevoir : lorsque Gertrude vient au monde, sa famille – qui est aussi riche que le gouvernement américain – domine totalement la nouvelle aristocratie d’affaires qui nait aux États-Unis.

Le destin dévolu à Gertrude est tracé d’avance et l’éducation rigoureuse qu’elle reçoit n’a que pour seul but d’en faire une pouliche bonne à marier au meilleur parti possible. Elle est élevée par des professeurs privés, entre dans la très exclusive Brearley School et navigue selon les saisons entre les différentes propriétés familiales.

Elle se marie sans amour à 21 ans à Harry Payne Whitney, qui n’est, lui aussi, qu’un autre richissime homme d’affaires. Leur mariage ne sera pas des plus heureux.

C’est à la faveur d’un séjour à Paris à l’aube du XXème siècle qu’elle prend pleinement la mesure de sa passion pour la sculpture et qu’elle développe ses talents artistiques : Rodin la prend sous son aile et l’encourage à perfectionner son art (oui, voici pourquoi je suis au musée Rodin).

De retour aux États-Unis, elle reçoit sa première commande pour la sculpture d’un nu d’homme grandeur nature – qu’elle signe sous un nom d’emprunt, comme les sculptures suivantes d’ailleurs.

Elle a une double vie, n’espérant absolument aucun soutien de la part de sa famille ou de son mari quant à sa vocation artistique. A son époque, les jeunes épousées pouvaient certes exercer des arts d’agrément, mais certainement pas embrasser les arts pour en faire une profession les détournant de leur vocation maritale et maternelle.

Épouse elle est, mère elle sera, mais ses passions se développent clairement ailleurs.

Elle prend en 1907 un studio dans Greenwich Village à New York. Ce studio deviendra l’embryon du Whitney Museum. Si tous les amateurs d’art de l’époque ont les yeux rivés vers l’art européen, Gertrude est la première à se concentrer sur l’art américain. Son studio, radicalement avant-gardiste, a pour vocation de recevoir et d’exposer des artistes américains vivants, ignorés par les institutions traditionnelles.

Pour ne citer qu’eux, Edward Hopper, Peggy Bacon ou Stuart Davis, qui sont à présent considérés comme des maîtres américains, lui doivent sans conteste leur belle notoriété.

Gertrude acquiert et expose les œuvres et devient de ce fait le plus grand mécène d’art américain contemporain de son temps. Sculpteur elle-même, contrairement à d’autres mécènes – je pense notamment à Abby Aldrich Rockfeller, Lillie P. Bliss et Mary Quinn Sullivan qui fondent le Metropolitan Museum of Art en 1929 – Gertrude comprend parfaitement le métier ainsi que les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes artistes.

Elle-même reconnue pour la qualité de son travail, elle reçoit de nombreuses commandes et ses sculptures monumentales s’imposent dans leur netteté, leur force et leur pureté aux Etats-Unis mais également en Espagne, au Canada et en France.

En 1910, elle ose enfin signer ses œuvres de son nom, et ses sculptures sont présentées à la National Academy of Design en 1910 et au Salon Parisien de 1911. Sa première exposition solo a lieu en 1916.

En 1929, elle souhaite faire une donation de 500 œuvres au Metropolitan Museum of Art – le MoMA – mais se voit opposer une fin de non-recevoir.

Elle décide alors de créer sur les fondations de son studio son propre musée, concentré exclusivement sur les artistes américains : le Whitney s’installe à Greenwich Village et est inauguré en 1930. C’est amusant de penser que cette grande institution a été érigée sur les cendres du refus d’un pourtant visionnaire MoMA.

Fort de son succès, le Whitney Museum déménage une première fois en 1954, puis à nouveau en 1963, puis enfin en 2015. Le chemin aura été long et les déménagements nombreux depuis la création du petit studio de Greenwich en 1907, mais comme le souligne si justement l’une des héritières de Gertrude, le Whitney n’est pas tant un lieu qu’une idée.

En parlant de ses héritières, quatre générations de femmes Whitney ont été présidentes du conseil d’administration du musée. Elles prennent exemple sur leur aïeule, connaissent les artistes, les employés, les programmes et refusent absolument de se laisser enfermer dans un quelconque rôle figuratif ou honorifique.

Aujourd’hui, le Whitney accueille plus de 22.000 œuvres et expose plus de 3.000 artistes. Parmi ceux-là, un certain Andy Warhol.

(NDLR. Vous comprenez maintenant pourquoi je suis au musée Rodin. Mais parlons plutôt de cette robe qui date de 1925. En exposition dans la boutique de ma meilleure complice Virginie, “Marcel et Jeannette”, elle avait été progressivement saccagée par les nombreux doigts qui avaient tripoté l’étoffe et les fils dorés s’en étaient retrouvés complètement brûlés. Même abimée, elle m’avait néanmoins tapé dans l’oeil (le travail des smocks, mamma mia !) et je la savais parfaite en termes d’époque pour parler de Gertrude Whitney. Ma chère mère, qui est couturière hors pair, a mis plusieurs mois à la réparer – et je vais être honnête, nous (enfin “nous”, façon de parler : moi j’ai souvent les idées, mais elle a clairement la technicité) avons dû faire des choix : le plastron d’origine était trop abimé pour être gardé, elle a donc décousu le bandeau de rappel au bas de la robe pour sauver ce plastron en le remplaçant. C’est une robe “muséale” comme dit ma chère Virginie, et je suis bien d’accord avec elle et je surenchérirai même : c’est une robe muséale qui s’est vue offrir une seconde vie).

Robe 1925 trouvée chez Marcel et Jeannette aux Puces de Saint-Ouen – Escarpins Armani – Pochette Louboutin – Lunettes de soleil Paul & Joe – Un collier Van Cleef & Arpels vintage, un bracelet vintage des années 50 sur une femme vintage

Le 22 Septembre 2023