Passionnée par l’art, le costume ancien, l’histoire et les femmes héroïques, Victoria Bonnamour, forte de vingt ans passés dans de grandes maisons de la mode et de la beauté, a décidé de conjuguer ses passions au présent en les transcendant dans sa marque de vêtements Bonâme.
Je n’ose qualifier Bonâme de marque de prêt-à-porter tant sa fondatrice que sa philosophie sont originales. Bien loin de la fast fashion et du mercantilisme à tout crin, Bonâme porte en étendard les valeurs de la transmission, du legs, de la filiation, de la succession. Et ces valeurs ne sont pas de vains mots pour Victoria, vous allez vite comprendre pourquoi.
Victoria porte en elle la fibre artistique d’un arrière-arrière-grand père peintre, Félix Desgranges et surtout d’une arrière-grand-mère sculptrice, Germaine Desgranges.
Félix Desgranges en famille, par Prinet
Germaine, qui fut l’élève de Bourdelle et qui participa au décor du foyer du théâtre des Champs-Élysées fut sans conteste une talentueuse sculptrice mais son élan artistique fut stoppé net par le mariage, la maternité puis par le veuvage.
Antoine Bourdelle et ses élèves à l’atelier – Germaine est debout au fond, avec un petit nœud noir sur sa blouse et penche la tête vers une camarade – J’adore ce que l’on pressent de caractère fort et non conventionnel
L’enfant à l’oiseau par Germaine Desgranges
Buste de Germaine Desgranges, plâtre polychrome par son époux Philippe Besnard (ces pommettes et ce caractère qui transparaît de ce visage, merveilleux)
Mariée en 1913 à un commissaire de marine, Daniel Blavier, elle devient veuve en 1916, la Première Guerre Mondiale lui enlevant son époux. En 1921, elle épouse en secondes noces Philippe Besnard, sculpteur et statuaire, qui, lui, fut l’élève de Rodin.
Philippe Besnard dans son atelier
Jeunes amis dont le foyer s’azurera de fleurs douces et matinales, vous aurez des devoirs plus hauts que les devoirs qui incombent aux autres. Vous êtes tous deux fils d’artistes, tous deux vous êtes héritiers de probité et de pensée : une ombre éclairante est sur vous, cette ombre est haute, elle projette sur nous tous l’esprit des ailes du poète qui peint ses hymnes dans le langage universel. »
Discours d’Antoine Bourdelle au mariage de Germaine Desgranges et de Philippe Besnard – Archives du musée Bourdelle, Cote MB_ARCH_BO_AB/A.1.2
Germaine cessa peut-être rapidement de sculpter mais elle évolue, grâce à son second mari, dans une famille d’artistes. Sa belle-mère est la sculptrice Charlotte Dubray et son beau-père est le peintre et académicien Albert Besnard. Sa belle-sœur est sculptrice et ses deux beaux-frères sont l’un peintre, l’autre céramiste.
Germaine cessa peut-être rapidement de sculpter mais elle pose pour son beau-père (“Germaine Besnard et sa fille Anne”, Albert Besnard, 1930), son mari (“Bustes de Germaine Desgranges”, Philippe Besnard, 1929) et ses amis peintres René-Xavier Prinet, Bessie Davidson et Jeanne Simon.
Buste de Germaine Desgranges par son époux Philippe Besnard
Germaine cessa peut-être rapidement de sculpter mais elle mènera à bien la publication des mémoires de son mari après le décès de celui-ci.
Cette forte ascendance artistique et le lien mémoriel que Victoria entretient avec Germaine, sa muse silencieuse, expliquent probablement la localisation de l’atelier Bonâme en plein cœur de la Nouvelle-Athènes, qui fut au XIX° siècle l’épicentre artistique de Paris, réunissant écrivains, musiciens, peintres et sculpteurs. Le musée de la Vie Romantique et le musée Gustave Moreau ne sont pas loin de l’atelier Bonâme et ce n’est pas anodin.
Parmi toutes les formes d’expression artistique, c’est le costume qui attire plus intensément Victoria, qui reprend des cours de couture et de modélisme, dessine une collection XIX° et se lance dans la location de costumes d’époque.
De fil en aiguille, Victoria développe sa propre ligne en circuit ultra-court, avec des tissus de qualité provenant de stocks dormants de maisons de haute-couture ou de stocks d’étoffes anciennes.
Le nom de sa marque, joli jeu de mot avec son nom de famille Bonnamour, évoque le beau et le bon qui enrichissent les belles âmes.
Et de fait, on ne parle guère de mode chez Bonâme, mais de style. Bonâme réinscrit le vêtement dans ses racines et dans son histoire, jette un pont entre tenues anciennes et tenues actuelles et en fait rejaillir l’intemporalité. La robe “Juliette” par Bonâme évoque par exemple la période de l’Empire, elle-même fortement inspirée par l’Antiquité.
Les créations Bonâme sont féminines, élégantes, précieuses et très structurées. Et il faut croire que l’amour du beau vêtement court de génération en génération puisque Germaine, la muse silencieuse de Victoria, exécutait déjà des croquis de femmes élégantes dans les années 40.
Mais au-delà de la tradition du costume historique et de la filiation qui unit Germaine à Victoria, Bonâme porte un autre héritage : celui d’héroïnes passées. Bonâme s’inspire des codes vestimentaires propres à certaines de ces grandes femmes afin de les réinterpréter dans un vestiaire actuel pour célébrer une féminité forte et intemporelle.
La robe “Juliette” évoquée plus haut fait évidemment référence à Juliette Récamier, dont le salon littéraire et politique était tellement puissant que Napoléon devenu Empereur la met sur les chemins de l’exil.
Les belles manches bouffantes de la chemise “Sand” évoquent la forte personnalité de la seule écrivaine du XIX° siècle reconnue comme auteur au même titre que ses confrères masculins.
Le col “Claudine” évoque quant à lui une jeune Colette, qui dû se battre pour retrouver la maternité de ses premiers romans, escamotée par un mari peu scrupuleux et en manque d’argent.
Le vestiaire Bonâme est irrigué par le souvenir de femmes fortes qui ont bataillé pour se faire voir et se faire entendre. Il est aussi probablement irrigué par un hommage silencieux et doux-amer à Germaine, qui dut abandonner sa passion pour la sculpture face aux difficultés d’une vie de jeune mère veuve.
Porter aujourd’hui de telles pièces jette un pont entre ces femmes et nous – et vient fortifier la filiation féminine qui nous lie à elles.
Que le vêtement soit vu comme un agrément ou une armure, il est incontestable que l’appropriation des codes vestimentaires de ces héroïnes passées nous investit de leur force. Porter du Bonâme, c’est revendiquer, discrètement mais sûrement, cet héritage féminin.
Comme j’avais très envie de rendre hommage à Victoria et à son arrière-grand-mère, me voici donc, entre chien et loup, portant une jupe et une blouse “Germaine” par Bonâme. La beauté du monde moderne fait que cette sculptrice peu connue en son temps revit aujourd’hui grâce au talent de Victoria et peut-être aussi grâce à cet article qui sera lu, par la magie d’Internet, aux quatre coins du monde.
Le 11 Novembre 2022
Blouse et jupe Germaine par Bonâme – Escarpins Gucci – Manteau vintage plus vieux que moi – Sac à main Lanvin – Collier Chanel – Gants Agnelle – Ceinture Apostrophe