Après le faste et la solennité des grands salons d’apparat de l’Hôtel de la Marine, place à la richesse des appartements de l’intendant du Garde-Meuble royal. Si la magnificence des grands salons écrase un tantinet le visiteur, les appartements de l’intendant permettent à ce dernier d’appréhender l’intimité d’une maison noble de la fin du 18ème siècle.
Il faut dire que le Centre des Monuments Nationaux, qui a la charge de l’Hôtel de la Marine depuis fin 2015 (l’état-major de la Marine a quitté les lieux à cette date pour rejoindre les autres services centraux du Ministère de la Défense sur le site de Balard, que j’ai visité et qui est donc… très différent), a eu à cœur de restaurer les appartements de l’intendant au plus proche de leur état au temps de Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, le second intendant du Garde-Meuble royal.
Un long travail – basé sur les archives – d’identification et de localisation des meubles et objets originaux, a permis de restituer l’atmosphère initiale des appartements de l’intendant. Si les salons d’apparat ont été rénovés sous Napoléon III, les appartements de l’intendant avaient conservé leurs décors d’origine ou à tout le moins des vestiges suffisants pour permettre au Centre des Monuments Nationaux de restituer leur état initial.
Certaines pièces exceptionnelles se trouvaient dans des collections publiques nationales, d’autres plus difficiles à identifier ont été substituées par des pièces d’époque équivalentes.
La distribution d’origine des appartements est respectée, avec, au Nord les appartements de Monsieur de Ville d’Avray (antichambre, cabinet d’audience, chambre, cabinet des bains).
Au Sud, se trouvent les appartements de Madame de Ville d’Avray.
Les appartements privés de Monsieur et Madame sont reliés par les pièces de réception.
Les textiles, qui sont de pure beauté, ont fait l’objet d’un soin particulier. Une campagne active de recherche de textiles anciens a été menée lors de la restauration des appartements de l’intendant et l’abondance et la diversité des motifs floraux et des indiennes étonnent, loin des brocards lourds et pompeux que l’on voit souvent dans les palais muséaux. Il faut dire que l’exotisme, aiguillé par le goût de Marie-Antoinette pour les motifs floraux, gais et légers, et le commerce opéré par la Compagnie des Indes, est à la mode.
De fait, le visiteur armé de son casque qui alterne musique et explications (et chasse au trésor pour les enfants), s’attendrait presque à chaque pas à voir apparaître l’intendant du Garde-Meuble et son épouse. La scénographie, qui présente des pièces parsemées d’objets de la vie courante, transforme la visite en expérience immersive et permet d’évoluer dans l’intimité d’une maison noble où la table est mise, les tables de jeu encore parsemées de cartes ou la bibliothèque fournie en livres d’époque.
Le premier intendant du Garde-Meuble royal, Pierre-Elisabeth de Fontanieu s’y installe en 1772, en y faisant aménager de sompteux appartements. Fontanieu est un homme de goût, très cultivé et il sait dénicher les jeunes talents lors des processus de création des nouveaux meubles destinés aux résidences royales. Il fait ainsi travailler l’ébéniste Riesener pour ses propres appartements avant de lui passer commande officielle pour les demeures royales. Sous l’impulsion de Fontanieu, plusieurs pièces des appartements reçoivent un décor d’un goût novateur qui préfigure souvent celui des chantiers royaux.
Ainsi en est-il de l’invention de la table volante. Les salles à manger n’existant pas à l’époque, il faut subir l’aménagement d’une planche sur tréteaux temporaire en plein milieu du salon, au milieu d’un ballet de domestiques qui escamotent l’ensemble une fois le repas pris. La table volante imaginée par Fontanieu monte et descend entre la nouvelle salle à manger et l’office situé à l’étage en dessous grâce à un ingénieux système de cordes et de poulies. Cette innovation, dont le coût est tel que même Louis XV y renonce pour Versailles, augure pourtant la place prépondérante que vont prendre dans les décennies suivantes les arts de la table et la gastronomie dans le patrimoine immatériel français.
Autre décor novateur, le Cabinet des Glaces. Fontanieu, célibataire et libertin, fait aménager au plus proche de sa chambre un petit cabinet intimiste pourvu d’une banquette et recouvert de glaces peintes de femmes nues. C’est l’épouse de son successeur, Madame de Ville d’Avray qui fera changer par pudeur le décor en remplaçant les femmes nues par des putti (de petits anges… également nus) mais la pièce reste ravissante.
L’administration Fontanieu prend officiellement place dans le bâtiment en 1774 et y déploie ses activités pendant quinze ans. Chargé de meubler les résidences royales, le Garde-Meuble préside à la création de nouvelles pièces mais assure également l’entretien et la conservation de milliers d’objets, qu’il s’agisse de pièces d’art décoratif ou des joyaux de la Couronne.
Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray succède à Fontanieu en 1784. Fraichement anobli, son goût n’est pas aussi sûr que celui de Fontanieu et il change l’ameublement des appartements de l’intendant en choisissant dans les réserves du Garde-Meuble des pièces plus ostentatoires.
La chambre de Fontanieu, jugée probablement trop sombre sur cour, est délaissée par son successeur.
Et comme on l’a vu, le Cabinet des Glaces attenant se pare d’une nouvelle virginité.
La Révolution est source de nombreux bouleversements pour le Garde-Meuble royal. En premier lieu, le Ministère de la Marine investit partiellement les lieux après le départ du Roi de Versailles vers Paris.
Plus grave encore est le vol des bijoux de la Couronne en septembre 1792, qui marque le début de la liquidation du Garde-Meuble royal, intervenant finalement en 1798.
Le vol est accompli du 11 au 17 septembre 1792 au nez et à la barbe des gardiens du Garde-Meuble par une quarantaine de brigands qui escaladent la façade du bâtiment afin d’accéder à la loggia et s’introduire dans les salons d’apparat. Près de 10.000 pierres sont dérobées, dont des pièces inestimables comme le Grand Saphir de Louis XIV ou le joyau le Régent. Huit personnes sont condamnées à la guillotine pour spoliation de la République.
Néanmoins, l’enquête révèle des incohérences flagrantes : les serrures des meubles contenant les joyaux n’ont pas été forcées et il est difficile de croire que tout ce petit monde n’ait pas attiré l’attention des gardiens, quatre soirs de suite.
Même si la plupart des bijoux sont retrouvés deux ans plus tard (à l’exception du diamant Bleu de France qui réapparaîtra vingt ans plus tard, retaillé et connu depuis son le nom de “diamant Hope”), l’identité des véritables commanditaires de ce que l’on a appelé le “casse du millénaire” reste encore inconnu à ce jour, les soupçons s’étant portés sur Ville d’Avray (pourtant en prison) puis sur Danton. L’insécurité générale qui régnait un peu partout à Paris à l’époque et la faiblesse de la protection accordée aux joyaux de la Couronne restent pourtant les suspectes les plus probables.
Le 21 Octobre 2022