JOSEPHINE BAKER

Si vous aimez le roman graphique et si vous êtes un tantinet féministe – ou juste curieux – la série d’œuvres littéraires de Catel et Bocquet dédiée à de grandes figures féminines de l’Histoire devrait vous intéresser.

Pourquoi retracer l’histoire de ces femmes ? Probablement parce que le même élan porte une Catel et une Titiou Lecoq :

Quand je me suis demandée ce que j’avais envie de transmettre dans ma vie d’illustratrice, j’ai compris que je voulais m’inspirer et travailler sur des modèles féminins. Nous manquons cruellement de références féminines, que ce soit dans la fiction mais aussi dans la vie, dans l’actualité. Je me suis rendue compte que dans les livres d’histoire, il y avait très peu de modèles féminins, alors que beaucoup de femmes ont fait des choses incroyables et ont même changé le cours de l’histoire”.

De fait, après Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Benoîte Groult et Alice Guy, le duo littéraire entreprend de coucher sur papier la vie de Josephine Baker la tumultueuse, Josephine Baker la lumineuse.

Le trait de Catel est fin et élégant et les bulles de Bocquet synthétisent parfaitement les riches heures de la vie de Josephine Baker.

Josephine Baker aura été tour à tour artiste noire méprisée par son public américain, immense vedette de music-hall portée aux nues en France, résistante, mère d’une humanité arc-en-ciel, activiste politique.

Elle ne s’est rien refusé. Elle est allée très haut, elle est allée très bas. “The sky is the limit” comme veut l’adage anglo-saxon.

Josephine naît Freda Josephine McDonald en 1906 dans le Missouri, d’un père et d’une mère artistes et pauvres. Elle est probablement la fille d’Eddie Carson mais celui-ci abandonne sa famille alors que Josephine n’a qu’un an. Josephine alterne rapidement école et travail, puisque la grande pauvreté qui afflige le foyer l’oblige à contribuer aux charges du foyer. Elle se marie à 13 ans sur un coup de foudre avec Willie Wells.

Elle est également artiste de rue. Son talent, tout en souplesse et en pitrerie, lui permet de se faire engager dans la troupe itinérante des Dixie Steppers. C’est à Philadelphie qu’elle rencontre son second mari, Willie Baker – dont elle gardera le nom pour l’éternité.

Broadway l’attire à tel point qu’elle en quitte son second mari. Elle n’a que 16 ans mais son talent est tel que Caroline Dudley Reagan, l’épouse d’un membre de l’ambassade américaine en France, la pousse à partir pour Paris où elle lui prédit un succès foudroyant.

En 1925, Josephine est à Paris. Elle se produit dans “La Revue Nègre” au Théâtre des Champs-Elysées. Sa quasi-nudité, son sourire et ses grimaces conquièrent le public et elle fait salle comble.

Un jour, j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris.”

La ceinture de bananes viendra un peu plus tard : aux Folies-Bergères en 1927. Son guépard, qu’elle a (à peu près) domestiqué terrorise l’orchestre mais enthousiasme les foules : la légende est en marche. La pureté de ses lignes subjugue les cubistes et sa liberté d’être hypnotise le public qui découvre avec elle le jazz.

Est-ce que l’incarnation par Joséphine de l’archétype de la femme noire exotique, érotique et sauvage sont un autre type de racisme et de colonialisme ? Évidemment.

Est-ce que Josephine en est consciente ? Probablement. Mais elle taille sa route. Libre. En cohérence avec celle qu’elle est.

Elle ne perd jamais de vue ses origines modestes et offre la soupe populaire aux démunis de Montmartre, rincés par la crise de 1929.

Elle épouse en 1937 Jean Lion, acquiert par la même occasion la nationalité française et achète le fameux château des Milandes. Jean Lion, qui est d’origine juive et qui souffrira des répercussions antisémites, pavera probablement le chemin de Josephine la Résistante.

Car elle chante bientôt pour les soldats au front, la guerre arrivant. Elle devient agent du contre-espionnage de la France Libre, en dissimulant des messages codés dans ses partitions de musique. Elle recevra à ce titre la médaille de la Résistance française en 1946.

A la Libération, elle offre ses services à la Croix-Rouge.

Son château des Milandes, où elle élève ses douze enfants arc-en-ciel, engloutit sa fortune. Elle court après les concerts, après l’argent.

Elle tente sa chance aux États-Unis entre 1947 et 1951, mais la tournée souffre d’une mauvaise publicité car un journaliste influent et acrimonieux la traite de communiste et d’ennemi du peuple noir. Pourtant, elle sera la première à lutter pour la cause noire tout autour du monde et deviendra une activiste politique frénétique. Elle n’aura de cesse de se battre contre l’inégalité et le racisme.

Malgré l’aide de Brigitte Bardot et de la princesse Grace de Monaco, Josephine Baker finira ruinée. Elle meurt le 12 avril 1975, âgée seulement de 68 ans.

Elle aura navigué sur les eaux troubles du racialisme pour en tirer le meilleur profit et n’en faire qu’à sa tête. Tête folle, tête libre, tête égalitaire.

Elle a peut-être été panthéonisée fin 2021 pour des raisons purement politiques (une femme, une femme noire) mais il n’en demeure pas moins que Josephine Baker mérite amplement cette panthéonisation.

Elle est à jamais synonyme de liberté, d’indépendance. De générosité. D’intégrité. De sourire, de joie de vivre.

Que j’aime Josephine la lumineuse.

Robe des années 1920, cape au col Médicis des années 1900, canne des années 40 et pochette des années 40 chinées chez Marcel et Jeannette, Marché des Puces de Saint Ouen – Escarpins Prada – Gants longs vintage

Le 8 Mars 2024