Le livre de Titiou Lecoq, “Les Grandes Oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes” est d’intérêt public. Tout le monde devrait le lire pour comprendre l’histoire du patriarcat.
J’ai découvert Titiou Lecoq il y a neuf ans lorsque je suis tombée par hasard sur l’une de ses chroniques publiées sur Slate traitant de la vie de Victor Newman, l’increvable héros de l’increvable série télévisée “Les Feux de l’Amour” (“Les Feux de l’Amour : Victor Newman, le pénis qui valait trois milliards”). La lecture de l’article m’avait offert un moment de fou rire absolu et j’avais aimé l’ironie et l’humour de l’auteur qui respirait l’intelligence et le recul.
Nous voici neuf ans après et Titiou Lecoq, qui ne s’est pas départie de son humour et qui s’intéresse décidément à tout, nous offre une somme historique sur les grandes oubliées de l’Histoire.
Premier point : tout ce qu’écrit Titiou Lecoq est parfaitement sourcé et parfaitement corrélé d’un point de vue académique (car on a vérifié, n’est-ce pas). Et – pour moi en tout cas – le point d’honnêteté suprême de son livre est d’expliciter que parfois – sur un sujet donné – des thèses contradictoires existent ou que des doutes subsistent – car ainsi va la vie des sciences dites “molles”. Titiou Lecoq cherche des réponses et nous le dit de la manière la plus neutre possible.
Second point : il ne s’agit pas tant des grandes oubliées de l’Histoire, en réalité. Il s’agit, à mon sens, d’une histoire éclairante du patriarcat français. Au-delà de femmes que Titiou Lecoq met en lumière au fil des âges (et Dieu sait que chaque page comporte des mines d’informations et d’exemples), l’auteur met en lumière une culture et une politique qui évoluent constamment et insidieusement au détriment de la population féminine.
C’est avec le Néolithique et la sédentarisation que les premières violences naissent et que le patriarcat s’impose dans certaines régions du monde.
Depuis déjà quelques années, ma théorie personnelle (que Titiou Lecoq ne développe pas forcément) est que la sédentarisation, la possession de terres et la volonté de transmission desdites terres à un héritier qu’un homme sait être le sien, a assis la domination masculine.
Plusieurs faits viennent en concurrence au même moment pour aboutir à cette domination masculine.
Tout d’abord, la proximité des hommes du Néolithique avec les animaux qu’ils élèvent dans des enclos leur permet probablement de percer le mystère de la reproduction.
Ensuite, les hommes du Néolithique comprennent que la monogamie permet d’éviter les infanticides commis par des rivaux masculins : pour protéger leur progéniture, ils vivent avec la mère de leurs enfants afin de les protéger (ce qui n’est pas possible si l’on a plusieurs enfants de plusieurs mères qui vivent dans plusieurs endroits différents).
J’en conclus (et c’est très personnel car cette théorie n’a pas été, une fois encore, follement explorée d’un point de vue académique) que l’homme a dû “verrouiller” celle qui portait la vie afin de s’assurer que l’enfant à qui il transmettait ses terres était bien le sien et pas celui du rival sexuel ou amoureux.
De mon point de vue, la domination masculine commence à ce moment-là (et on admirera, dans ma théorie, que les inventions du “capitalisme” et du patriarcat coïncident). Je ne vois pas d’autre raison à l’institution du patriarcat. En termes physiques, hommes et femmes du Paléolithique étaient aussi forts l’un que l’autre. Les femmes ne restaient certes pas dans leurs grottes et chassaient autant que les hommes – mais le basculement intervient au Néolithique et je ne peux m’empêcher de faire la corrélation entre propriété privée et patriarcat. Pour faire plus simple, je ne vois pas d’autre raison que la jonction reproduction-capitalisme qui puisse expliquer la domination masculine et le patriarcat qui s’imposent à ce moment-là.
Pardon, je m’égare – mais en fait non, car le livre de Titiou Lecoq revient sur trois moments-clés à mes yeux de l’histoire du patriarcat : le Néolithique, la loi salique et le Siècle des Lumières.
Je fais des bonds temporels, alors que la fermeture de l’éventail des possibles des femmes a été un phénomène politique et social lent et insidieux, que Titiou Lecoq explique extrêmement bien.
Au Paléolithique, la femme est aussi forte que l’homme. Elle chasse, elle cueille. Le nomadisme auquel elle est soumise fait que les grossesses sont espacées – et mystérieuses.
Le Néolithique est synonyme de sédentarité. Synonyme de possession. Et comme on vient de le voir, il devient également synonyme de violence générale avec “le culte du chef”, l’apparition de l’épée et des sacrifices humains (et, de manière contradictoire, l’apparition de la spiritualité et de l’art pariétal, allez comprendre).
Les siècles passent. Le patriarcat se sophistique un peu plus. La femme devient sur le plan biologique un “homme raté” dont les attributs ne sont qu’une version dévoyée des attributs masculins (le clitoris, ce pénis avorté et les ovaires, ces testicules non descendues – c’est bien connu voyons). Le moule sexuel est le même pour hommes et femmes mais celui de la femme donne un résultat dégradé, selon les sciences de l’Antiquité.
En France, la femme n’est pas l’égale de l’homme mais elle sait encore être reine de royaume franc, elle sait faire la guerre. La société lui est ouverte, elles peut être troubadour, enlumineuresse, bâtisseuse de cathédrales, médecine, maréchale-ferrante, mairesse, chirurgienne.
Jusqu’à la loi salique, qui va se construire tout au long des 12ème et 13ème siècles.
De Hugues Capet jusqu’à Louis X, ce qu’on a appelé le “miracle capétien” a voulu que les héritiers royaux soient toujours des garçons. Or Louis X Le Hutin décède prématurément en 1316 en laissant une orpheline, Jeanne II de Navarre – qui a cinq ans.
Jusqu’alors, rien n’empêchait les femmes d’héritier du trône. Jusqu’alors, rien n’empêchait les femmes d’être suzeraines de fiefs, d’être cheffes d’armée ou de faire la guerre.
C’est sans compter Philippe V le Long, l’oncle de la petite Jeanne II de Navarre de cinq ans, qui souhaite s’emparer du trône. Il mandate ses conseillers afin qu’ils déterrent une règle instituant la masculinité du trône. Les conseillers font encore mieux : ils fabriquent un faux dans un vrai texte : la loi salique, que tous les juristes connaissent. La loi salique est un vieux texte franc salien qui punit d’ailleurs (déjà à l’époque !) les agressions sexuelles. Ils tordent tant et si bien le texte de la loi salique qu’ils en tirent un “faux” selon lequel les femmes ne peuvent pas régner. Pour faire simple, ils ne respectent pas l’esprit de la loi, collent à la littéralité du texte et en font une interprétation plus que douteuse grâce à des phrases sorties de leur contexte, telles que “la chose publique est mieux gardée et défendue par homme que par femme” ou encore “c’est d’office viril que d’être roi de France”.
Il faut attendre 1410 et le faux en écriture de Jean de Montreuil pour que la théorie soit parachevée : pour la première fois en effet se trouvent en concomitance l’arrivée au pouvoir d’un homme – Philippe de Valois – la référence au code des Francs Saliens et une citation en latin de l’alinéa sur les biens propres, où le mot terra a été remplacé par le mot regnum.
Le tour est joué, les femmes ne pourront plus jamais régner et ce, jusqu’à la fin de la monarchie en France.
Un autre bond dans l’Histoire : le Siècle des Lumières.
Le Siècle des Lumières, avec sa manie de tout répertorier, de tout classifier, établit involontairement des catégories et donc des comparaisons dont la femme ne sort guère victorieuse lorsqu’elle en vient à être comparée à l’homme.
Certes, les écrivains et biologistes du Siècle des Lumières remettent en question les acquis de l’Antiquité. Certes ils établissent le binarisme sexuel. Mais la femme n’y gagne absolument aucune égalité. Maintenant, il y a bien deux moules, deux sexes mais l’un d’eux est faible. La biologisation et la nomenclature effrénée se jouent au détriment de la femme, mais des races également. L’homme blanc normalise, grâce à une science absolument foireuse, son rapport de domination à l’égard des femmes, des esclaves, des races autres, et de la nature en général. La Nature même devient le théâtre négligeable où se déroulent les actions de l’homme blanc de l’époque – ce qui explique probablement nos problématiques actuelles de compréhension de l’écologie.
Pourtant, ce sont les femmes qui donnent le coup d’envoi de la Révolution en marchant vers Versailles pour ramener la famille royale à Paris le 5 octobre 1789. Hélas, elles ne tireront aucun profit de la Révolution, qui voit le passage “du patriarchisme au conjugalisme”, pour reprendre les termes de l’historienne Anne Verjus.
Ce que le père perd en droits sur sa fille, le mari les gagne sur sa femme.
Il y a un votant par famille, et c’est évidemment le mari.
Un décret du 30 avril 1793 exclut les femmes de l’armée (il y avait des soldates dans l’armée révolutionnaire avant ce décret).
Le 30 octobre 1793, les clubs politiques de femmes sont interdits.
Napoléon enfoncera un dernier clou dans le cercueil de la cause féminine avec son Code Napoléon, qui s’appliquera jusqu’en 1965 pour les régimes matrimoniaux. Le mari décide de tout : le lieu de résidence, l’éducation des enfants, si sa femme peut passer des examens, si sa femme peut travailler ou non. Il touche le salaire de sa femme (jusqu’en 1907).
L’épouse adultère va en prison. Si elle a la chance de ne pas être assassinée par son mari qui surprend le flagrant délit et qui est excusable grâce au scandaleux “article rouge” (l’article 324 du Code Pénal) qui autorise le mari cocufié à tuer l’épouse infidèle. Cet “article rouge” ne sera modifié qu’en 1975 et sa persistance explique probablement le manque d’action publique quant aux violences conjugales actuelles.
Le modèle de la famille bourgeoise tel que nous le connaissons naît pendant la Révolution et ne cessera de se perfectionner au cours des 19ème et 20ème siècles, pour infuser lentement mais hélas sûrement la société française.
Pour autant, des femmes – que Titiou Lecoq évoque – n’ont jamais cessé de se battre pour faire reconnaître l’égalité de leurs droits et la libre disposition de leurs corps.
Je n’ai pris ici que trois moments-clés de l’histoire mais le livre de Titiou Lecoq est bien plus riche que cela. Une fois encore : ce livre est d’intérêt public et tout le monde devrait le lire. Il n’est pour l’instant édité qu’en français et j’attends avec hâte qu’il soit publié en anglais.
Le 8 Avril 2022
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