ESPRITS NUMÉRIQUES

Petit rappel qu’il faut s’aérer la tête et déconnecter des écrans régulièrement (et le comique de l’histoire est que vous lisez cette phrase ici).

Il faut être honnête, les événements que nous vivons depuis plus de deux ans ont sensiblement alourdi les esprits et la consultation quasi-permanente des écrans ne fait que rendre l’ensemble encore un peu plus anxiogène.

Nous sommes restés rivés à nos écrans pendant la pandémie pour tenter de comprendre le pourquoi du comment. Nous avons été assaillis de mauvaises nouvelles nous parvenant du monde entier et cette charge émotionnelle universelle s’est ajoutée à notre propre charge personnelle.

La guerre en Ukraine n’a fait que prendre le relais dans nos esprits déjà éreintés.

Même si nous le savions peut-être intellectuellement, nous avons compris que la mondialisation des échanges de personnes et de biens, la suractivité, la surconsommation et le jeu des alliances politiques pouvaient en un clin d’œil faire basculer la planète entière dans des situations incontrôlables ou presque de pandémie ou de guerre.

La lourdeur s’est installée partout, et la consultation des écrans l’aggrave encore un peu plus.

Mes deux réseaux préférés, Instagram (qui avait coutume de m’apporter du beau, du bon, du joyeux) et Twitter (qui m’apportait exactement tout le contraire mais que je trouvais et que je trouve toujours intéressant comme observatoire sociétal – même si je le referme toujours avec un soupir accompagné d’un “beurk”) représentaient à mes yeux jusqu’à récemment encore le petit ange et le petit diable qui entourent les personnages de dessins animés.

Je dois pourtant avouer que la différence que je ressentais entre ces deux réseaux à tendance à s’estomper aujourd’hui : le petit ange devient rudement diablotin et le petit diable est devenu encore plus noir. Comme beaucoup, je croyais en une prise de conscience, un changement de paradigme, un changement de mentalité post-pandémie, et cela n’est jamais arrivé.

(Pardon, soyons optimistes : “cela n’est pas encore arrivé”).

Je suis donc aujourd’hui prodigieusement agacée par les pseudo-influenceuses proposant des vidéos comparatives Zara/Shein (il y en a pléthore en réels Instagram et le tout est sponsorisé par Shein, qui a connu une progression délirante ces dernières années), par les pétasses qui nous infligent leur “unboxing” de 408 tenues de fast fashion ou par les gourdes qui nous expliquent comment perdre 10 kilos en une semaine, en phase post-pandémie, parce que eh oh, on va surtout pas être tolérant avec soi-même et garder les kilos pris en phase de crise mondiale.

Une pandémie, des conflits armés un peu partout, des droits des femmes bafoués particulièrement en Afghanistan ou aux États-Unis, une crise climatique, des crises migratoires, la famine (et j’en passe) – mais non, des connasses proposent encore de surconsommer et de vivre uniquement dans le monde des apparences.

Le monde est à feu et à sang mais les gens se passionnent pour le procès en diffamation intenté par Johnny Deep contre son ex-épouse Amber Heard. Franchement, 98% des personnes qui donnent leur avis sur le sujet sur les réseaux sociaux (Instagram et Twitter sont submergés de vidéos et de textes sur le sujet) feraient mieux de tout lâcher et d’aller faire un tour au parc. Les seuls qui proposent des contenus intéressants sur les réseaux sont des avocats américains qui expliquent les subtilités du processus judiciaire.

On pourrait se dire que le procès filmé fera au moins avancer la cause des femmes victimes de violences domestiques – ou la cause des hommes victimes de violences domestiques (selon les prétentions de chaque partie), mais le problème est que la grande majorité des personnes qui publient leurs textes et vidéos sur les réseaux sociaux n’ont pas regardé les audiences en entier et qu’ils ne font que colporter des opinions très tranchées et certainement pas objectives.

De fait, il y a dans l’esprit d’une immense majorité des personnes trainant sur les réseaux sociaux, une sorcière de conte de fées (j’ai nommé Amber Heard) et un gentil très très gentil (j’ai nommé Johnny Depp). Et c’est tout. Le besoin rassurant de manichéisme fait oublier que dans la vie, les choses et les gens ne sont pas blancs ou noirs, mais parfois gris.

De fait, Amber Heard est ridiculisée et conspuée sur les réseaux sociaux avec une violence à peine imaginable.

Et puis le commerce restant le commerce, il faut tout de même relever l’initiative de YouTube, qui a décidé de monétiser la retransmission des audiences, en obligeant les internautes qui souhaitaient faire des commentaires en live, à payer.

(Vous vous demandez si j’ai regardé les audiences ? La réponse est oui – à tout le moins écoutées en fond sonore – parce que je suis avocat et que le traitement médiatique des événements actuels me passionne de manière générale).

J’ai autour de moi de nombreuses personnes qui m’ont expliqué avoir arrêté de suivre l’affaire car elles se trouvaient confrontées, sans même le demander (“what the fuck did I touch to have this garbage on my feed”) à quelque chose de particulièrement noir et toxique – autant sur le fond de l’affaire dont ni Johnny Depp ni Amber Heard ne sortent grandis – que sur la forme, c’est-à-dire le traitement médiatique.

En somme, un procès télévisé qui aurait pu éclairer le débat des violences domestiques tourne à un cirque médiatique lamentable. Il aurait pourtant été tellement intéressant d’évoquer les questions d’abus mutuel (car certains spécialistes pensent que cela existe alors que d’autres estiment qu’il y a toujours un agresseur primaire et une victime qui riposte par la violence dans une configuration de légitime défense). Il y a là un vrai débat sociétal qu’il aurait été intéressant de soulever.

Il en va de même pour le concept DARVO.

“DARVO” est l’acronyme (en anglais, pour Deny, Attack, Reverse Victim and Offender) d’un comportement qui suppose de la part de l’agresseur le déni de son comportement problématique, l’attaque de sa victime, le renversement des rôles de victime et d’agresseur de telle manière que l’agresseur échange les rôles de victime et agresseur.

Cela n’a guère été évoqué lors des auditions du procès Depp/Heard. J’ai bien conscience que les débats portent sur le point de la diffamation mais l’absence de débats sur ces deux sujets est bien dommage.

(A cette heure, le jury n’a pas encore délibéré).

J’en viens à croire que ces fils à la patte numériques que sont nos téléphones deviennent année après année de mauvais “esprits numériques”. Oh, pas des esprits de films d’horreur, mais il est indéniable que l’humain est happé et obsédé par ce qui se passe sur son écran de téléphone et que l’effet est généralement assez peu positif. Sans parler des débordements que se permettent certains, sous couvert de l’anonymat.

Bref. Quitter les écrans et les réseaux sociaux, lire des articles de fond, écouter de la musique, prendre l’air, s’aérer la tête, tenter de renouer avec la légèreté et le positif est le mieux que nous ayons à faire à ce stade, je crois.

27 Mai 2022

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