EXPOSITION – STEVE MCCURRY

L’exposition proposée par le Musée Maillol jusqu’au 29 mai 2022, “Le Monde selon Steve McCurry”, présente 150 photos grand format de l’un des photographes qui aura le plus marqué l’époque actuelle. Vous le connaissez, peut-être sans le connaître : le portrait de la Jeune Fille Afghane aux yeux verts, c’est lui.

Steve McCurry, qui a aujourd’hui 72 ans, a sillonné le monde pendant 40 ans.

En 1979, il arrive, vêtu d’une tenue locale, à franchir la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan pour pénétrer les zones contrôlées par les moudjahiddins juste avant l’invasion de l’URSS. Ses photos – les premières à montrer le conflit venant de s’amorcer, lui assure un début de carrière foudroyant puisqu’il reçoit le Prix Robert Capa Gold Medal 1980, consacrant les photographes ayant fait preuve d’un courage et d’un esprit d’initiative exceptionnels. Sa Jeune Fille Afghane fait la couverture de National Geographic en 1985 et son succès ne s’est depuis jamais démenti. Consacré par de nombreux prix, il reçoit notamment le Prix du photographe de magazine de l’année décerné par la National Press Photographers Association (en 1984), le Prix du photographe de magazine de l’année décerné par National Geographic (en 1985 et en 1995) et le Lucie Award du photojournalisme (en 2003).

D’un point de vue pictural, les photos présentées au Musée Maillol sont une monumentale claque dans la gueule – pardonnez-moi l’expression. Les œuvres sont picturalement magnifiques, les portraits sont saisissants, les regards sont absolument hypnotisants.

Le talent de photographe de Steve McCurry est indéniable.

Mais la question est de savoir ce que l’on regarde réellement : sont-ce là les photos d’un photojournaliste ou d’un photographe artistique ?

Il se trouve que la question se pose pour Steve McCurry et ses photos.

En 2016, un photographe italien, Paolo Viglione découvre que l’une des photos de Steve McCurry exposée à Turin a été retouchée (et vraiment mal retouchée) : un morceau de poteau de signalisation jaune à moitié effacé digitalement traine dans les pieds d’un piéton et s’évapore. Paolo Viglione révèle avec amusement sa découverte dans un post Facebook, mais celui-ci est repris très sérieusement un peu partout, faisant l’effet d’une trainée de poudre : différentes versions d’une même photo publiée à plusieurs années d’intervalle resurgissent et montrent que des personnes ont été effacées des photos, ou que certains sujets sont des amis d’amis auxquels Steve McCurry a demandé de poser, ou que les couleurs des photos ont été outrageusement saturées.

La polémique est telle qu’elle oblige la même année Steve McCurry à redéfinir son statut professionnel – passant de “photojournaliste” à “conteur visuel” (et de fait, c’est ainsi qu’il est présenté au Musée Maillol).

L’agence Magnum et NatGeo retirent les photos suspectées de retouche de leurs sites internet et le comité d’éthique du National Press Photographers Association estime que “se distancier du photojournalisme, sur lequel McCurry a bâti sa carrière ne sera pas aussi facile que de diffuser un communiqué de presse et s’autoproclamer photographe artistique. (…) Toute altération de la vérité constitue un manquement à l’éthique”.

Le quidam ne comprendra pas forcément la polémique, surtout à l’ère des filtres Instagram. La distinction entre photojournaliste et photographe artistique est pourtant plus qu’importante. Ce que je fais ici et là avec mon photographe Cedric Doux est de la photographie artistique. Je suis la première à lui imposer le sujet des séances-photos, à lui proposer des attitudes qui me semblent expliciter le sujet choisi, à effacer les mégots sur le trottoir de chaque photo concernée (ça devient une running joke).

Un photojournaliste est censé photographier la réalité brute pour rendre compte d’un sujet d’actualité. La retouche est impensable. Car dans “photojournaliste”, il y a “journaliste”. C’est une question d’éthique, surtout lorsqu’un photographe a reçu un Prix Robert Capa, des Prix National Geographic, un Lucie Award du photojournalisme ou que ses photos sont régulièrement en couverture de NatGeo.

Or, Steve McCurry a construit sa carrière et récolté tous ses lauriers depuis presque quarante ans sur le titre de “photojournaliste”, qu’il le veuille ou non.

Évidemment, savoir où mettre le curseur de l’éthique en photo est complexe, car il n’y a rien de plus subjectif qu’une photo. Le simple choix de ce que l’on décide de photographier, le choix du matériel ou le cadrage de la photo sont déjà des décisions subjectives, que tout photographe connaît. Choisir tel type de pellicule en est un autre – et Steve McCurry aura, à cet égard, fait la gloire de la pellicule Kodachrome 64 – très vivifiante en termes de couleurs.

S’il faut parler de pré-production, les portraits de Steve McCurry sont à n’en point douter saisissants et pénétrants – mais le spectateur ne sait pas et ne saura jamais dans quelle mesure ils ont été pensés, posés ou mis en scène. Je pense en particulier à la photo de cet enfant si jeune qui pointe un revolver sur sa tempe en pleurant (Yanesha – Perù – 2004) : quelle est l’histoire de cette photo hautement malaisante ? Est-ce l’enfant qui a spontanément décidé du geste ? Est-ce le photographe qui lui a demandé ? Pourquoi pleure-t-il ? Et surtout : en tant qu’être humain, n’y a-t-il pas mieux à faire à ce moment précis que de prendre une photo ?

Les personnes prises en photo ont-elles donné un consentement éclairé (apparemment non, dans le cas de la Jeune Fille Afghane – âgée de 12 ans à l’époque de la photo – si j’en crois un article du magazine indien “The Wire” publié en 2002. Par ailleurs, cette Jeune Fille Afghane a aussi un nom, elle s’appelle Sharbat Gula).

S’il faut parler de post-production, la saturation des couleurs, l’effacement de certains éléments de la photo ou carrément de certaines personnes présentes sur la photo sont encore d’autres choix contestables si l’on parle de photojournalisme.

Enfin, il faut être honnête : Steve McCurry a une vision très datée et très fantasmée des pays dits “en voie de développement”. C’est exotique. C’est très coloré. C’est ancestral. Rien de moderne ne vient perturber l’harmonie de ses photos. Les enfants sont des victimes de la guerre (ce qui est vrai) et il y a un rapport à la nature rousseauiste qui fait un peu vomir parce que “ces gens-là” sont forcément autre chose que cela (mais on ne le verra jamais dans “Le Monde selon Steve McCurry” – qui est le titre de l’exposition, je vous rappelle).

Steve McCurry, grand photographe ? Oui, absolument.

Steve McCurry, grande personne ? Ca reste à prouver.

Vous l’aurez compris : j’ai aimé la forme, mais détesté le fond. Les photos sont sublimes, mais une fois encore : il faut savoir ce que l’on regarde. Et le prendre comme tel.

1er Avril 2022

Nuristan – Afghanistan – 1979

Kunar – Afghanistan – 1980

Nuristan – Afghanistan – 1980

Nuristan – Afghanistan – 1980

Nuristan – Afghanistan – 1992

Nuristan – Afghanistan – 1992

Timbuktu – Mali – 1986

Pol-e-Khomri – Afghanistan – 2002

Xigaze – Tibet – 2001

Gulmarg – Kashmir – 1999

Tagong – Tibet – 1999

Angkor – Cambodia – 2000

Peshawar – Pakistan – 2002

Peshawar – Pakistan – 1984

Peshawar – Pakistan – 2002

Amdo – Tibet – 2001

Beirut – Lebanon – 1982

Kathmandu – Nepal – 2013

Yanesha – Perù – 2004

Morondava – Madagascar – 2019

Central Mexican Plateau – Mexico – 2016

Antigua – Guatemala – 2017

Srinagar – Kashmir – 1996

Peshawar – Pakistan – 1983

Welligama – Sri Lanka – 1995

Mazar-e Sharif – Afghanistan – 1991

The Old Delhi Train Station – India – 1983

Rajasthan – India – 1983

Uttar Pradesh – India – 1983

Uttar Pradesh – India – 1983

New York – USA – 2001

New York – USA – 2001