HÔTEL SALOMON DE ROTHSCHILD

L’ultra-confidentiel Hôtel Salomon de Rothschild, situé rue Berryer dans le 8ème arrondissement, abrite deux merveilles qui ne se visitent que sur rendez-vous : la Rotonde Balzac et le Cabinet de Curiosités.

Mais avant d’évoquer plus avant la Rotonde Balzac et le Cabinet de Curiosités, il faut parler de l’hôtel particulier en tant que tel, édifié sous l’égide d’Adèle de Rothschild.

En 1862, Adèle von Rothschild, de la branche familiale de Naples mais élevée à Francfort, épouse à 19 ans son fantasque cousin Salomon, de la branche parisienne.

Salomon le fantasque décède prématurément en 1864, laissant Adèle veuve à 21 ans avec une jeune enfant de 7 mois. Celle qui était quelques temps avant fêtée par la société parisienne et dont les tenues de bal étaient largement commentées par la presse de l’époque se retire du monde, s’ensevelissant dans le veuvage.

En 1873, Adèle jette son dévolu sur les parcelles du domaine de la « folie Beaujon », situées à deux pas des Champs-Élysées.

Le domaine de la « folie Beaujon » comporte une chartreuse, un petit château de villégiature construit par l’architecte Nicolas-Claude Girardin en 1781 pour le financier Nicolas Beaujon.

La « folie Beaujon » est vendue en 1801 et transformée en kermesse où se dresse l’une des premières montagnes russes (alors appelées montagnes françaises). La kermesse est détruite en 1824 et des immeubles de rapport sont construits sur les parcelles. Honoré de Balzac y acquiert en 1846 une maison dans laquelle il décède en 1850.

Adèle rase la chartreuse de la « folie Beaujon » pour y faire construire un hôtel particulier de style néo-classique. Le chantier, qui dure de 1874 à 1878, est confié à Léon Ohnet (qui décède prématurément) puis à son élève Justin Ponsard. L’architecture, qui s’inspire dans le vestibule d’une autre propriété des Rothschild – le château de Ferrières – dénote l’engouement de l’époque pour le XVIIIème siècle remis au goût du jour par l’Impératrice Eugénie au Palais des Tuileries.

Adèle rachète également en janvier 1882 la parcelle où se trouve l’habitation de Balzac. Madame Hanska, la veuve de Balzac menée au bord de la ruine par les frasques de sa fille et de son gendre, vend à Adèle la petite maison que l’écrivain avait acquise rue Fortunée (maintenant rue Balzac). Dès le décès de Madame Hanska en avril de la même année, Adèle fait raser le bâtiment insalubre afin d’agrandir son jardin et y faire construire une rotonde à la mémoire du grand écrivain.

La Rotonde Balzac conserve plusieurs souvenirs, tel que le “Portrait de Balzac”, un marbre par Marquet de Vasselot.

Cette ravissante cage à oiseaux (naturalisés) cache un ingénieux système à gaz.

Cette gravure représente les fameuses montagnes françaises édifiées sur l’assiette du domaine démembré de la « folie Beaujon ».

Des colonnes, vestiges de la « folie Beaujon » et de sa chapelle Saint-Nicolas, sont toujours visibles dans le jardin de l’hôtel particulier de la rue Berryer.

La rumeur veut que le gendre de Madame Hanska ait mené des expériences d’occultisme et de magie noire au sein de la chapelle. Adèle, épouvantée, en appelle à l’exorciste de l’archidiocèse de Paris pour purifier le bâtiment mais devant les réticences rencontrées, rase purement et simplement la chapelle pour construire au même endroit la Rotonde Balzac. Outre son épouvante, la chapelle était vétuste et il valait probablement mieux la détruire.

Adèle s’éteint rue Berryer en 1922.

Adèle lègue à l’État français sa luxueuse demeure et ses collections, sous réserve que le Cabinet de Curiosités reste absolument intact.

Le Cabinet de Curiosités, qui a été restauré en 2001 et qui est ouvert à la visite guidée sur rendez-vous depuis 2017, ressemble à un sanctuaire et rassemble les collections réunies par Salomon de Rothschild avant son décès ainsi que les collections acquises par Adèle lors de son veuvage.

Apparus en Europe au XVIème siècle, les cabinets de curiosités rassemblent des objets de provenance et de type variées évoquant la richesse, la beauté et la diversité du monde.

Le cabinet conçu par Adèle réunit principalement des objets d’art provenant d’Europe, de Chine, du Japon, d’Iran ou d’Inde. Les vitraux allemands et suisses du XVIème siècle, les cuirs dorés de Cordoue du début du XVIIIème siècle qui tapissent les murs et la tapisserie française du XVIIème siècle au plafond forment un ensemble qui symbolise le caractère éminemment artistique de ce Cabinet de Curiosités d’une quarantaine de mètres carrés.

Les cuirs dorés qui tapissent toute la pièce sont probablement les éléments les plus inestimables de ce Cabinet de Curiosités.

La vitrine des porcelaines comporte de nombreuses porcelaines faites en Chine, mais décorées en Europe – les Européens n’ayant percé le secret de la délicatesse de la porcelaine de Chine que tardivement.

« L’Orpheline Alsacienne » par Rodin est une merveille de délicatesse.

En aménageant le Cabinet de Curiosités et en puisant dans les collections dont elle a hérité, Adèle livre un portrait bien romanesque de son défunt époux. Le fantasque Salomon – trublion de la famille qui pratiquait la lévitation, qui dépensait sans compter au jeu, qui avait dû partir jeune en exil aux États-Unis suite à des pertes faramineuses à la Bourse – est oublié. Adèle offre à la postérité l’image conformiste d’un amateur d’art au goût sûr.

Les autres collections réunies par Adèle sont disséminées entre les grandes institutions françaises (Musée du Louvre, Musée national du Moyen Âge (Cluny), Musée national de la Renaissance (Écouen), MAD (Musée des Arts Décoratifs), Bibliothèque nationale de France).

Adèle souhaitait qu’une grande maison des arts soit abritée dans le sein de l’hôtel particulier sous le nom de « Fondation Salomon de Rothschild ». De fait, l’endroit a abrité de grandes institutions et est aujourd’hui le siège de la Fondation des Artistes. Sa fille Hélène fut la première à poursuivre l’œuvre de sa mère et à s’investir pour sa pérennité.

Sur rendez-vous uniquement par email à l’adresse suivante : visite@fondationdesartistes.fr

26 Février 2022