L’ENVERS DU DÉCOR – VOLUME 28

Est-il raisonnable de faire une séance-photo en extérieur, dans ce courant d’air permanent qu’est La Défense, lorsqu’il fait 1 degré et que l’on a une rage de dents ? Absolument pas. Je suis pourtant seule fautive. Après avoir écrit un article qui évoquait les mondes post-apocalyptiques de “Blade Runner” et de “Matrix”, le seul endroit qui me semblait pouvoir illustrer mes propos n’était autre que La Défense.

Pour les non-initiés, La Défense est un quartier d’affaires né dans les années 60 en bordure de Paris, construit sur une dalle où les gratte-ciel sont plus ou moins réussis, selon les époques. Pour faire simple, les immeubles des années 60 et 70 sont particulièrement ringards, au contraire de ceux des dix dernières années qui ont pris au pied de la lettre leur nom en chatouillant des nuages de plus en plus hauts. L’idée de départ était clairement de faire concurrence à Manhattan, mais malgré les dernières constructions, je vous assure que c’est complètement raté. L’endroit, où j’ai travaillé presque 2 ans lorsque j’avais 20 ans, m’a laissé un tel souvenir que je l’appelle non-affectueusement “La Défonce” et que je me suis jurée de ne plus jamais y retravailler. Le choix d’y prendre des photos venant illustrer des mondes post-apocalyptiques dira beaucoup de l’estime que je ne porte pas à l’endroit, déshumanisé et déshumanisant.

Bref. Vous comprendrez que c’est le coeur plein de joie que je m’achemine, mi-décembre, vers ce lieu de shooting. Il fait -20 en ressenti et le vent qui domine en permanence ce sublime ensemble architectural n’arrange rien.

Ce qui n’arrange rien non plus, c’est une rage de dents qui me déforme le visage. Shootée à l’Aspegic directement frotté sur les gencives (un vieux truc qui me reste du rugby que j’ai (non) brillamment pratiqué, seule fille sur le terrain envahi de garçons qui avaient peur de me faire mal – donc on gagnait) – shootée par Cedric, mon photographe aussi frigorifié que moi, j’ai rarement été aussi efficace pour boucler une séance-photo. Nous nous sommes battus avec ce crétin d’origami qui s’envolait avec le vent et qui ne voulait absolument pas tenir sur ma main, mais je l’ai dompté manu militari, tout simplement parce que je gelais malgré deux manteaux et qu’il ne fallait plus trop trainer.

Vous apprécierez donc ma mine gelée et asymétrique sur ces photos qui – grâce au talent de Cedric – sont somme toute très réussies. Il faut dire que Blade Runner est l’un de ses films favoris et qu’il a eu à coeur de rendre l’atmosphère de ce bijou cinématographique.

Dans un autre registre, recréer le Hong-Kong des années 60 évoqué dans “In the Mood for Love” peut s’avérer difficile, surtout lorsque l’on en vient au personnage de Maggie Cheung, qui passe tout de même beaucoup de temps dans une chambre, à boire et à fumer. Prendre un air langoureux alors que l’on est allongée sur un lit et que l’envie de dormir prédomine, c’est compliqué.

Il est tout aussi difficile d’avoir l’air inspiré alors que l’on boit une boisson pétillante sans alcool qui doit passer pour les besoins de la photo pour du champagne, et que l’on se prend dans le nez la fumée dégagée par le papier d’Arménie qui doit, elle, passer pour de la fumée de cigarette.

Bref, comme d’habitude, vous l’aurez compris, la photo comme le cinéma est le monde des illusions.

Le 28 Avril 2023