FÉMINITÉ

La féminité, qu’est-ce que donc ? Reprenons nos chers bouquins : si j’en crois les différents dictionnaires auxquels je me suis référée, la féminité ne se définit pas par elle-même mais par ses attributs.

Selon les dictionnaires français, la féminité se définira comme “1. Caractère féminin. 2. Ensemble de caractères stéréotypés correspondant à l’image sociale traditionnelle des femmes (contraire virilité).” (Le Robert) ou encore comme “1. Ensemble des caractères anatomiques et physiologiques propres à la femme. 2. Ensemble des traits psychologiques considérés comme féminins. 3. Proportion de femmes dans une activité économique : Taux de féminité.” (Le Larousse).

Ce n’est pas plus explicite du côté des dictionnaires anglo-saxons. Le mot “femininity” se définit comme “the fact or quality of having characteristics that are traditionally thought to be typical of or suitable for a woman.” (Cambridge Dictionary) ou “the quality or nature of the female sex : the quality, state, or degree of being feminine or womanly.” (Merriam-Webster Dictionary) ou enfin “1. Uncountable noun: a woman’s femininity is the fact that she is a woman. 2. Uncountable noun: Femininity means the qualities that are considered to be typical of women.” (Collins Dictionary).

La définition de la femme n’est guère plus explicite puisqu’elle est définie comme “l’adulte de sexe féminin” selon Le Larousse et Le Robert et le mot “woman” est défini par le dictionnaire d’Oxford comme “an adult female human”.

Est-ce important de définir la féminité et le féminin ? Je pense que l’exercice est vital – surtout si l’on se demande si l’on est féministe – et surtout de quelle manière on est féministe. L’un des grands débats actuels est de savoir si les mouvements féministes doivent inclure les revendications transgenres et transsexuelles – et la question de l’inclusion de ces revendications jette de manière évidente la lumière sur la question du féminin et de la féminité.

(Je n’ignore pas qu’employer les termes “transgenre” et “transsexuel” peut sembler désuet voire offensif mais le point ici est de faire la distinction entre les personnes qui sont transgenres (enfermées dans un corps sexué assigné à la naissance qui n’est pas le bon) et les personnes transsexuelles (qui se sont soumises à des procédures médicamenteuses et médicales afin de changer de sexe). J’utiliserais ici les termes de “trans”, de “transgenre”, de “trassexuel” ou de “femme”, selon les besoins de la phrase, mais je veux rendre compte ici du processus et des discriminations parfois différentes auxquelles sont confrontées les femmes transgenres et les femmes transsexuelles).

Les TERFs (Trans-Exclusionary Radical Feminists), qui sont le plus souvent des féministes radicales et essentialistes, excluent les femmes trans des luttes féministes car elles estiment que les femmes trans ont une biologie masculine, ont reçu une socialisation masculine, possèdent des privilèges masculins et menacent la sécurité des autres femmes. A tous ces titres, les femmes trans ne sont pas des femmes.

Je reste perplexe : le ressenti de chacun et chacune par rapport à son propre corps est très personnel. En outre, la femme transgenre ou transsexuelle perd sa socialisation masculine et ses privilèges masculins dès lors qu’elle se sent femme (ce qui arrive rarement à 50 ans) ou qu’elle s’engage dans un processus de transition (qui lui fait perdre, dans ce dernier cas, sa biologie purement masculine). Enfin, j’ai rarement entendu parler, en termes statistiques, de violences faites aux femmes par des personnes transgenres ou transsexuelles.

Je suis une fervente croyante en l’inclusion de toute personne subissant des oppressions du fait de son sexe ou de sa sexualité dans les mouvements féministes parce que je reste intimement persuadée que l’on se trompe d’ennemi : l’ennemi, c’est le patriarcat (pour citer Emmanuel Beaubatie, in “Féminisme et transphobie”) qui pèse à des titres différents et de façon plus ou moins grave sur les femmes, sur les hommes, sur les trans et sur toutes les personnes dont le genre et l’orientation sexuelle ne sont pas hétéro-normés (en bref, les LGBTQIA+ – les personnes homosexuelles, bisexuelles, non-binaires, asexuelles, pansexuelles et intersexuelles).

Pour ma part, c’est plutôt le terme de “féminisme” (dont la racine est le mot “femme” ou “femininity” en anglais) que je trouve trop étroit aujourd’hui car on se rend bien compte que les oppressions nées du patriarcat atteignent les femmes, mais pas seulement.

Au-delà du féminisme, la fragmentation actuelle des types de féminité, des modes de vie (célibat, vie de couple, mono-parentalité, non-parentalité), des identités sexuées (l’appartenance à un groupe défini par son genre) et des identités sexuelles (l’appartenance à un groupe défini par son orientation sexuelle) nous oblige à nous poser la question de la féminité, de la masculinité et de tout ce qui est entre ou en dehors.

Il faut bien avouer que les lignes de l’identité sexuée et de l’identité sexuelle ont fortement bougé ces derniers temps (et j’en remercie les réseaux sociaux et les nombreuses études académiques qui sont faites sur ces sujets depuis quelques années).

Si j’en reviens aux différentes définitions proposées par nos chers dictionnaires, je comprends que la féminité se définit en-dehors et en-dedans : en-dehors avec des attributs et stéréotypes traditionnellement attachés aux femmes – en-dedans avec des attributs sexuels spécifiques. L’”en-dehors” se joue au niveau collectif et social, l’”en-dedans” se joue au niveau personnel et intime.

Si l’on doit évoquer l’“en-dehors”, la féminité ne se définit que par ses attributs et les normes sociales qui s’y appliquent. On ne naît pas femme, on le devient, comme disait notre chère Simone dans “Le Deuxième Sexe”. Ces attributs et normes sociales concernent autant l’apparence des femmes que les fonctions qui leur sont assignées par la société.

Mais ces attributs et normes sociales varient. Les standards de beauté diffèrent selon les époques et les lieux et il en va de même pour la division sexuée du travail, qui n’a pas toujours vu la femme à l’intérieur et l’homme à l’extérieur (Alain Testart) ou pour l’orientation sexuelle : l’homosexualité était admise dans la Grèce Antique, ce pseudo-idéal que nos sociétés regardent comme le berceau de la démocratie (berceau démocratique très relatif, seuls les hommes avaient le droit de voter et le sort des femmes et des esclaves n’avait rien d’enviable).

Dans nos sociétés contemporaines, qui n’a pas entendu “on devient femme avec ses règles”, “le bleu, c’est pour les garçons” ou encore “il faut être un mâle alpha”.

Aujourd’hui, nous n’en sommes heureusement plus à guetter l’arrivée des premières règles pour s’assurer que la jeune fille est nubile ou non – c’est-à-dire en âge d’être mariée ou non.

Le rose fut longtemps la couleur des garçons et le bleu – couleur de la Vierge – celui des filles. Et je ne parle même pas des talons rouges portés par Louis XIV qui voulait rehausser une taille qu’il estimait trop petite ou des kilts portés par les guerriers écossais.

Enfin, la théorie du mâle alpha a fait long feu mais est erronée puisque construite sur l’observation d’une meute de loups en captivité qui ne trouve aucune duplication dans les meutes de loups en liberté.

Il ne s’agit là évidemment que de quelques pauvres exemples parmi des milliers qui régissent les comportements masculins et féminins afin de les normer d’un point de vue sociétal – et cela dès la petite enfance.

Je ne parle même pas, pour les femmes, de l’impossibilité d’enfant, du refus d’enfant qui les placent “hors normes” puisque notre société actuelle brûle tous les ponts entre la féminité et la non-maternité.

Heureusement, les points de vue bougent, lentement mais sûrement.

Les petites filles turbulentes, qui grimpent aux arbres, qui ont les cheveux courts que les commerçants saluent d’un “bonjour jeune homme” (je pense à ma cadette de 9 ans) seront de moins en moins confrontées à l’ultra-normativité subie par nos mères et par nous-mêmes dans les années à venir, car les lignes bougent.

Le réinvestissement du corps et de la force par les femmes est en marche, que cela soit sur les terrains de foot (Megan Rapinoe), sur le plan législatif (Megan Rapinoe, encore) ou sur les internets (allez regarder la campagne américaine “Throwing like a girl”, c’est édifiant).

Certaines problématiques purement liées aux organes sexuels et reproducteurs de la femme commencent à être prises en compte par les pouvoirs publics : je pense notamment aux règles, aux troubles dysphoriques prémenstruels et à l’endométriose. Je pense également à l’honnêteté tardive des fabricants de tampons qui délaissent enfin l’hygiénisme irréel qui leur faisait voir des règles en liquide bleu transparent dans leurs publicités. Il serait temps de faire la même chose pour des problématiques purement masculines, je pense à l’andropause ou au cancer de la prostate.

Le réinvestissement général est en marche, et on peut en remercier, comme détonateurs, MeToo et les réseaux sociaux.

Il est incontestable que la féminité est une construction sociale, dont les contours varient selon les moments et les lieux. Mais même si la féminité est une construction sociale et qu’il est facile (ou du moins, plus facile) adulte d’en comprendre les tenants et aboutissants et de prendre de la distance par rapport à des normes qui se sont imposées à nous enfants, cet “en-dehors” normatif vient impacter cet “en-dedans” intime et sexuel propre à chacun.

A un niveau émotionnel, la psychanalyse considère l’identité comme singulière. Il s’agit de la fameuse ipséité qui représente la part irréductible, la singularité de chacun.e et qui fait que chacun est unique. L’identité de chacun, cet “en-dedans” se construit de manière personnelle, mais elle est pourtant confrontée en permanence au regard de l’autre et en ce sens, il y a tout de même une intersubjectivité – un “en-dehors”.

Lorsque l’on en vient à la féminité, la psychanalyse estime que les deux principaux regards qui déterminent la construction du féminin sont celui de la mère (on en a parlé ici) et celui de l’amant (et encore est-ce extrêmement hétéro-normé).

Le regard de la mère a une fonction normative et si la mère est engluée dans une idée hyper-normée de la féminité (“jeune, mince et sexy”), l’enfant aura du mal à construire une féminité personnelle et moins normée. L’amant, qui participe dans cette hypothèse à un schéma hétéro-normé, est à la fois le censeurs et le dispensateur : il a le pouvoir de dire ce qui est féminin ou non, selon des normes collectives fortes qui s’appliquent plus ou moins selon sa personnalité mais il est également le partenaire qui permet ou non d’accéder au plaisir.

Dans une démarche moins académique que les psychanalystes, les professionnels du développement personnel – avec ou sans diplôme d’ailleurs – surfent allègrement sur les besoins de certaines femmes parties à la recherche de leur féminité.

Je comprends parfaitement que certaines femmes aient besoin d’investir ou de réinvestir leur féminité, d’autant plus que, pour paraphraser Camille Froidevaux-Metterie, c’est bien dans le domaine intime de la sexualité où demeurent les oppressions (in “Le Corps des Femmes”). Mais il faut faire attention aux mots employés et à l’intention mise en oeuvre de part et d’autre.

Les termes en vogue en ce moment : le “féminin sacré”, la “déesse” et la “sorcière” qui sont censées nous habiter chacune envahissent Instagram. Je vais être honnête, je vomis le galvaudage de ces trois termes.

Tous les sites Internet de développement personnel que j’ai pu consulter pour la rédaction de cet article évoquent les mêmes mots : “féminin sacré”, “énergie féminine”, “yin et yang”, “sorcière”, “déesse”. (Je ne donnerai pas le nom des sites, parce que je ne suis pas ici pour démolir qui que ce soit).

“Votre intuition, votre créativité, votre capacité d’écoute et d’accueil (des autres mais aussi de vos propres émotions). Le lâcher prise … C’est aussi la sensibilité, le calme … ces énergies douces et lunaires, en opposition aux énergies vibrantes et solaires du masculin sacré (action, prise de décision, force …)”.

(J’ai envie de hurler face à la perpétuation des clichés binaires)

Le FÉMININ SACRÉ c’est notre POUVOIR D’ÊTRE.

(Au secours. Les hommes, les homosexuels et les trans y-ont-ils droit aussi ?)

Ce pouvoir est enfoui très profondément en nous, en notre coupe intérieure, notre utérus, le calice de l’amour, réceptacle de la richesse, du plus grand pouvoir : l’accueil d’un enfant.

(Au secours encore, que reste-t-il aux femmes trans, aux femmes qui ne peuvent ou ne veulent enfanter ?)

Mais le pouvoir de l’utérus, ce n’est pas que celui de l’enfantement. A l’intérieur de notre utérus réside notre plus grand pouvoir, celui d’être nous, et de réussir. Les SORCIÈRES, qui étaient brûlées dans une autre époque, l’avaient bien compris. Et les hommes en avaient peur, parce qu’elles avaient du pouvoir et qu’elles s’en servaient.

(Je hurle encore. Le pouvoir de la sorcière est celui de la guérisseuse, qui vit à l’écart du village et que ledit village craint parce qu’elle sait dispenser ou non les soins aux villageois. Je ne dénie absolument pas la chasse aux sorcières, mais il y avait aussi des sorciers. En outre, était « sorcière » une femme sur des centaines, cela ne concernait absolument pas toutes les femmes.)

Ai-je besoin de mentionner que tous les sites qui mettent en avant le féminin sacré sont là pour vendre des cours ? Capitalisme, quand tu nous tiens.

Je comprends parfaitement les personnes sérieuses qui proposent des cours de yoga axés sur la fertilité au bénéfice de femmes qui ressentent l’envie de procréer ou des cours axés sur le respect des cycles de création et destruction (activité/repos) que sont les cycles menstruels (et d’ailleurs, ces personnes ne parlent pas forcément de « féminin sacré »). J’adhère à 8000% à des femmes qui sont parties en Amazonie, ont fait des expériences de chamanisme, ont vécu avec les tribus et en ont rapporté une science des plantes qu’elles appliquent à la cosmétique.

A l’inverse, je vomis ces sites profanes qui promettent à des femmes parties en recherche d’elles-mêmes une connection à leur déesse, leur prêtresse, leur sorcière intérieure ou à leur féminin sacré. J’en ai par ailleurs absolument ras-le-bol que l’on me parle de la Lune sous prétexte que je suis une femme. La femme a soit-disant un cycle de 28 jours (ce qui est absolument faux, puisqu’un cycle « normal » peut aller de 21 à 35 jours). Le cycle lunaire est de 29 jours et demi. Et par la magie d’un raisonnement tout à fait fallacieux, puisque le cycle de 28 jours est à peu près le même que celui de 29 jours et demi de la Lune, celle-ci devient par magie l’astre féminin. Que de clichés.

Les termes sont par trop galvaudés. On en sait maintenant assez pour comprendre qu’une déesse n’existe pas, qu’une prêtresse est une femme sur des milliers et qu’en outre, tout cela est très mythologique donc sujet à caution. On en sait maintenant assez pour comprendre qu’une sorcière est une femme qui maîtrise le pouvoir des plantes, qu’elle est rebouteuse, qu’elle vit retirée du village et qu’elle est elle une femme sur des centaines. Tout le monde n’est pas Mélusine, il faut l’accepter. Nous ne sommes pas toutes des guérisseuses au dialogue facile avec le monde immatériel, il faut l’accepter aussi.

Quant au Yin et au Yang, supposés être une opposition entre homme et femme, il s’agit là d’une simplification bien occidentale. Le Yin et le Yang évoquent l’unité et le multiple, l’opposition, la complémentarité, l’équilibre. Le Yin porte en germe le Yang et vice versa. Le Yin ne se conçoit que parce que le Yang existe et vice versa. On est bien au-delà de la binarité homme/femme.

Faire croire à chaque femme qu’elle est une déesse, une prêtresse, une sorcière est au mieux de la publicité mensongère, au pire de l’arnaque pure et simple.

Quant à la promesse de reconnection à son féminin sacré personnel, je reste coite d’incompréhension. Le féminin sacré dont il est question se veut peut-être ancestral et donc hors de toute époque et de tout lieu mais il faut bien avouer que les termes employés (la « force créatrice, qui lui permet d’illuminer les autres, et elle-même, par sa beauté intérieure, l’amour, la compassion, la sensibilité, la sensualité, la douceur, le pouvoir de guérir, de SE guérir ») reflètent des constructions sociales finalement bien patriarcales : la femme a une capacité créatrice, est douce, sensible, sensuelle, pleine de compassion et guérit autrui et elle-même.

Enfin, certains sites ou livres (que je me suis paluchée pour vous éviter de le faire) n’omettent pas de parler aussi du masculin sacré et viennent par là renforcer la binarité qui régit nos sociétés actuelles.

L’“éternel féminin” n’est pas loin et je n’ai aucune idée de ce que cela signifie dans la vraie vie mais je sais que cela me terrifie.

(Je commence à rager. En quoi est-ce si compliqué ou problématique de reconnaître la fluidité sexuée et sexuelle ? En quoi est-ce compliqué de comprendre que chacun, quel qu’il soit, a une part sacrée qui n’a rien à voir avec son genre, son sexe ou son orientation sexuelle ?).

Revenons à des choses plus sérieuses et allons plus loin dans “l’“en-dedans”.

A un niveau biologique et si l’on en vient aux attributs sexuels spécifiques, tous les chercheurs, professeurs et experts en biologie, biologie évolutive, sociobiologie et anthropologie reconnaissent le dimorphisme sexuel – c’est-à-dire la différence morphologique entre mâles et femelles – comme l’un des principes régissant notre espèce et toutes les autres, d’ailleurs.

L’origine de telles différences s’explique par la sélection sexuelle, le conflit sexuel et l’investissement parental, en somme, des raisons tout à fait liées à la survie et à la perpétuation de l’espèce. En tant qu’espèce – l’espèce humaine – il y a bien des femelles (les femmes) et des mâles (les hommes) qui participent ensemble à la perpétuation humaine du fait de cette différence d’organes sexuels (je laisse volontairement de côté les travaux de Anne Fausto-Sterling sur l’intersexualité et l’absence de dimorphisme absolu – car celles-ci existent mais je me place ici au niveau plus général de l’espèce).

Dans une optique biologique, socio-biologique et/ou anthropologique, il serait donc assez simple de ravaler la femme (et ce qui va avec, la féminité et le féminin) au rang de femelle dans un processus de reproduction.

Mais nous n’en sommes heureusement plus là, en termes de société (et l’on en revient à l’“en-dehors”).

Parce que définir le féminin et la femme par ses organes reproducteurs de femelle laisse de côté les femmes qui ne peuvent pas enfanter, les femmes qui ne veulent pas enfanter, les femmes trans qui ne peuvent pas enfanter.

Réduire le féminin et la femme à ses organes féminins renforce en outre une opposition homme/femme, féminin/masculin, féminité/virilité qui a été et qui est encore toxique et limitante pour tous.

Une telle binarité est maintenant dépassée, qu’on le veuille ou non, la fluidité sexuée et sexuelle étant de plus en plus reconnue – fluidité qui existe depuis fort longtemps dans certaines sociétés – et l’on en revient encore à l’“en-dehors”.

Certaines sociétés amérindiennes connaissaient trois, quatre, voire cinq genres (les Navajos notamment) : féminin, masculin, deux-esprits féminin, deux-esprits masculin et transgenre). Les personnes aux deux-esprits réunissaient une identité double, à la fois masculine et féminine et étaient immensément respectées par la tribu car la capacité de voir avec les yeux des deux sexes étaient une bénédictions divine. L’existence des bi-spirituels a été documentée dans 130 peuples d’Amérique du Nord.

En Océanie, les leitis sont des hommes ayant adopté les codes de la féminité. Ils sont présents sous le nom de mahus à Tahiti ou Bora Bora et sont déjà mentionnés par les voyageurs du XVIII° siècle.

Les hijras d’Inde ou du Pakistan ont aussi adopté les codes de la féminité et sont considérés avec respect et crainte.

Les sociétés hindouistes reconnaissent quant à elles de cinq à onze genres.

Pas simple, pas simple du tout. Le “en-dedans” est intimement lié à “l’en-dehors” et vice-versa.

L’“en-dehors” envahit l’“en-dedans” et il est complexe dans cette cacophonie d’entendre sa petite voix intérieure. Notre présent est envahi par de nouveaux types de normes – la digitalité, la télé-réalité et l’influence. La tristement célèbre famille Kardashian en est le meilleur exemple : les femmes sont mises à l’honneur à travers leurs corps parce que là réside l’influence et la manne financière qui en découle. Il s’agit d’une nouvelle prostitution digitale où les femmes sont mises en avant, qu’elles soient adultes (Kim Kardashian et ses soeurs – le frère Rob est passé à la trappe) ou enfants (North West pour Kim Kardashian, Stormi pour Kylie Kardashian et True pour Khloé Kardashian qui sont déjà ultra-médiatisées au contraire des garçons qui n’apparaissent pas médiatiquement). Et si elles sont médiatisées, c’est bien évidemment souvent à travers leurs corps, leur féminité (une fois encore, la notion est à définir) et dans tous les cas, leur désirabilité. Les femmes du clan Kardashian sont en passe de changer les nouveaux standards de beauté pour imposer un idéal caricaturalement callipyge. Kassons les kodes, s’il vous plait.

Vous l’aurez compris, la féminité ou la masculinité ne sont que des constructions sociales. Il n’existe pas de définition essentialiste de la féminité ou de la masculinité. L’“en-dehors” impacte énormément l’“en-dedans” mais la somme de tous les “en-dedans”, vocaux, différents, hors-normes fera forcément bouger les lignes sociétales.

Pour autant, nous sommes des animaux sociaux. Il faut donc accepter que certaines définitions contemporaines s’appliquent à chacun d’entre nous. J’aime assez la définition du dictionnaire de Cambridge qui définit le mot “woman” comme “an adult female human being” mais aussi comme “an adult who lives and identifies as female though they may have been said to have a different sex at birth”.

Au-delà de la féminité ou de la masculinité, il me semble que la revendication portée par la nouvelle vague portant la fluidité sexuée et sexuelle est celle de la recherche de l’identité personnelle et de la volonté d’exister selon ses règles propres. J’aime l’idée que chacun plonge honnêtement dans ses tréfonds intimes et émotionnels pour chercher et trouver cette fameuse ipséité, cette fameuse singularité. C’est plus enrichissant. J’ai beau être avocate, je déteste les petites boites et les normes – entendez clichés – applicables à tout à chacun. J’aime la fluidité et les élections personnelles.

Nous sommes bien loin de Comte-Sponville qui opposait la féminité à la masculinité dans son “Dictionnaire Philosophique”, n’est-ce pas ?

(Pour illustrer ce texte long comme un jour sans pain et sans fin, me voici féminine, parce que je porte une robe et des talons. Je ris toute seule en tapant ces mots parce que je n’ai jamais jamais compris ni vécu cette opposition masculin/féminin).

Le 27 Janvier 2023

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