FAUST & M.J. WINKLER

Qui connait Walt Disney ? Le monde entier. Qui connait M.J. Winkler ? Personne. Et pourtant, sans M.J. Winkler, il n’y aurait tout simplement pas eu de Walt Disney. Mickey Mouse n’aurait jamais vu le jour, Blanche-Neige n’aurait jamais été animée et Space Mountain serait probablement le nom d’un programme de la NASA.

La préhistoire de l’empire Disney se résume en effet à ce seul nom de M.J. Winkler. Reprenons.

Nous sommes en 1923. Walt Disney vient de quitter Kansas City où il a fait faillite, pour jeter ses derniers espoirs professionnels en Californie. Il vient de vendre son unique caméra pour s’acheter un billet de train, a 40 dollars en poche et porte un costume que lui a prêté un ami. Il a dans ses bagages le film inachevé sur lequel il travaille, « Alice’s Wonderland », un court-métrage mêlant personnages réels et personnages animés. Arrivé en Californie, il sollicite une douzaine de producteurs, mais ses demandes restent sans réponse – lorsqu’elles ne reçoivent pas des fins de non-recevoir.

La situation est critique. Il a 21 ans, survit chez son oncle et c’est son frère Roy qui subvient à ses besoins. Il s’apprête à abandonner l’animation.

Une et une seule réponse positive lui parvient, signée M.J. Winkler. Le nom a belle réputation dans le milieu de l’animation et de la production. Il est connu et reconnu, et pourtant peu savent qu’il s’agit d’une femme. Margaret J. Winkler a en effet pour habitude de signer de ses initiales pour déguiser sa condition féminine dans un milieu largement dominé par la gent masculine. Elle a beau être la première femme à produire et à distribuer des films d’animation, elle s’en cache.

Née en Hongrie en 1895, Margaret J. Winkler débute à Hollywood en qualité d’assistante personnelle de Harry Warner, fondateur de Warner Bros. Son talent et son flair sont tels que Harry Warner l’encourage à fonder sa propre société de distribution de films d’animation, ce qu’elle fait à l’âge de 26 ans.

Naît ainsi en 1921 Winkler Pictures, dont la réputation est vite assise. Margaret J. Winkler a en effet un rôle crucial dans les carrières de Max et Dave Fleicher, les créateurs de Betty Boop et de Popeye, et d’Otto Messmer et Pat Sullivan, les créateurs de Félix le Chat.

Mais son rôle le plus crucial sera incontestablement celui de mentor de Walt Disney. Intriguée par le concept d’une petite fille réelle évoluant dans un environnement dessiné, Margaret achète à Walt Disney le négatif du fameux film inachevé, « Alice’s Wonderland » et lui demande de développer le personnage d’Alice dans une série de douze épisodes, qu’elle s’engage à produire et distribuer.

Preuve qu’elle parie sur le talent de ce jeune dessinateur inconnu et inexpérimenté, elle finance en payant d’avance une promesse d’achèvement d’ »Alice’s Wonderland » et un projet de série dont la conception dépend d’un studio d’animation qui a fait faillite à Kansas City. Cela faisant, elle offre à Walt Disney un avenir professionnel stable et pérenne, qui aboutira sur la carrière que l’on sait.

Et c’est ainsi qu’est formé le 16 octobre 1923 le premier studio hollywoodien entièrement dédié à l’animation, Disney Brothers Cartoon Studio. A bien y regarder, la date est hautement symbolique puisque c’est à cette même date que Margaret signe le contrat de Walt Disney. Celui-ci utilisera à bon escient les fonds avancés par Margaret J. Winkler, en réunissant l’équipe et le matériel nécessaires au développement de la série « Alice ».

Le rôle de Margaret J. Winkler dans la carrière du jeune Walt aurait pu se cantonner à la dimension financière. Il n’en est rien. Bien qu’elle ne soit âgée que de 28 ans, elle met au service de Walt Disney un flair, un talent et un savoir-faire déjà solides. Elle entretient une correspondance suivie avec lui, l’aide à améliorer ses dessins et met en place un marketing et une communication avant-gardistes qui assurent la notoriété des courts-métrages produits sous son égide. Elle est l’une des premières productrices à publier les chiffres de vente de ses productions en guise d’auto-promotion, à insérer des encarts publicitaires et à assurer une visibilité nationale et internationale aux personnages animés qu’elle distribue. Elle comprend parfaitement les effets produits par la combinaison intelligente de la production, de la distribution, du marketing et de la communication.

La collaboration entre Margaret et Walt cessera en 1928 – Margaret s’étant mariée et ayant abandonné sa carrière. En attendant, elle aura tout de même produit 56 épisodes d’ »Alice » et 26 épisodes d’ « Oswald the Lucky Rabbit », dont le personnage développé dès 1927 par Walt Disney annonce le Mickey Mouse à venir. La collaboration aura fructueuse, c’est le moins que l’on puisse dire.

A ce jour, les Studios Walt Disney sont les studios d’animation les plus anciens du monde occidental. Sans Margaret J. Winkler, Pixar, Marvel, Disneyland et Disney + n’auraient jamais existé. Et pourtant, le nom de cette étoile filante, dont la carrière fut courte et foudroyante, reste absolument inconnu du grand public.

Première femme productrice de films d’animation, première femme membre de la « Motion Picture Producer’s Guild », première femme incluse dans la liste des « Prominent Film Folks » aux côtés d’un David O. Selznic, M.J. Winkler aura laissé si peu de traces d’elle qu’il n’existe aujourd’hui presque aucune information sur cette grande figure de l’animation.

Margaret J. Winkler, qui se cachait derrière ses initiales, a cultivé bien des secrets, le premier d’entre eux restant… la signification de ce fameux « J ».

L’article en entier dans Faust Magazine, c’est par ici.

26 Mars 2021