TIME’S UP

Il y a quelques temps, je m’étais interrogée des suites qui allaient être données au mouvement #Metoo. J’exprimais ma crainte de voir ce mouvement tourner au tribunal populaire, et mon espoir de voir prises des mesures législatives et judiciaires – à mon sens seules susceptibles de profondément et durablement changer les mentalités.

Même si nous n’avons que très peu de recul sur le sujet – quelques mois après – le bilan reste très mitigé, à mon sens.

Je ne me réfère ici qu’aux seuls cas médiatisés.

Même si la justice fait son travail à l’égard de quelques hommes accusés d’abus sexuels, d’autres cas médiatisés tournent au tribunal populaire. Sur la base d’une simple accusation publiée dans les médias, souvent non relayée par une plainte, certaines personnalités masculines se voient clouées au pilori – médiatique et populaire.

Pour un avocat, c’est très perturbant. Perturbant car un tel traitement médiatique et populaire viole le principe fondamental de la présomption d’innocence. Tant qu’une personne n’a pas été reconnue coupable, elle doit être présumée innocente.

Soyons bien d’accord : je ne parle certes pas ici du bien-fondé ou non des accusations portées par les femmes dont la parole a été médiatisée.

Je parle du traitement médiatique de cette parole.

En premier lieu, je regrette qu’elle soit si amplement médiatisée, lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’une démarche judiciaire, à savoir une plainte. Je mets évidemment de côté les faits qui sont prescrits et qui partant, ne peuvent faire l’objet de poursuites : je comprends évidemment, dans ces circonstances, que la seule voie – la seule voix – possible soit la voie médiatique.

En second lieu, je regrette le traitement médiatique en tant que tel. Lorsque de telles accusations sont portées à la connaissance des médias, comment ces médias n’ont-ils pas le bon sens, le sens de l’équité, le sens de l’éthique, de ne pas mentionner explicitement et de manière récurrente que l’accusé reste innocent tant qu’il n’a pas été reconnu coupable ?

L’impact des médias est aujourd’hui tellement fort que leur manipulation souvent très amateure d’informations sensibles et gravissimes les fait passer pour des apprentis-magiciens grisés par leur propre pouvoir (et par leur course au clic et à l’audience). Tout cela est souvent traité de manière bien trop légère, vu la gravité des actes évoqués.

Enfin, dans ce nouveau cirque médiatique que sont hélas devenus #MeToo et Time’s Up, l’iniquité, la cacophonie et l’inefficacité sautent maintenant aux yeux du quidam que je suis, à tel point que ces deux mouvements se prennent eux-mêmes les pieds dans le tapis.

En ce qui concerne l’iniquité, on ne peut que constater que les hommes incriminés mis sans délai au ban de la société sont ceux qui n’ont plus d’influence, de pouvoir – bref de capacité de nuisance ou de riposte.

Harvey Weinstein ou le photographe Terry Richardson ont été publiquement désavoués par les mondes du cinéma et de la mode parce qu’ils n’avaient visiblement plus de pouvoir (fin de carrière, moins d’influence, moins de contrats, etc). Il n’en a pas été de même des années avant, alors même que les voix s’accordent à dire que leur comportement abusif était apparemment bien connu de tous.

Il y va tout de même d’une certaine hypocrisie, lorsque des sociétés, des investisseurs licencient ou révoquent un président, un collaborateur sur la seule base de l’opportunisme commercial, financier, médiatique ou publicitaire, et non pas sur la base de principes de moralité, de justice et de justesse.

Il y a même d’une hypocrisie certaine lorsque le surpuissant groupe de presse Condé Nast International interdit seulement fin octobre 2017 en plein mouvement #MeToo, à ses publications Vogue, Vanity Fair, GQ, Glamour et Wired de travailler avec Terry Richardson, alors même que son comportement était décrié depuis de nombreuses années.

Une fois encore, je ne juge pas le fond de l’affaire – à savoir le bien-fondé ou non des accusations – mais le traitement qui leur est réservé : le manque d’éthique en devient criant.

A l’aune de la cacophonie ambiante, et pour prendre l’exemple inverse, que penser du traitement réservé aux accusations récemment portées contre Ryan Seacrest ?

Ryan Seacrest est un animateur et producteur américain très influent dont la carrière est plus que florissante (il est le producteur de l’émission de télé-réalité des Kardashian, et honnêtement, s’il devait être reconnu coupable, c’est bien de cela).

Il a récemment été accusé de harcèlement sexuel par son ancienne styliste. Une enquête a été menée et a conclu qu’aucun fait ne pouvait lui être reproché.

Mais la situation est néanmoins devenue périlleuse en février 2018, lorsqu’il a été annoncé que Ryan Seacrest procèderait aux interviews sur tapis rouge des personnalités médiatiques conviées à la cérémonie des Oscars 2018.

Qui allait répondre à ses questions, qui le dédaignerait ? Telle était la question qui agitait le bocal hollywoodien, chacun donnant son avis, certains interpellant même sur Twitter l’employeur de Ryan Seacrest – la chaine E! – afin qu’il ne soit pas présent à la cérémonie.

La cérémonie des Oscars s’est finalement conclue avec un Ryan Seacrest penaud, ayant obtenu peu d’interviews et par un Oscar décerné à Kobe Bryant pour le meilleur court-métrage d’animation.

L’ironie de la situation est à son comble.

Star absolue du basket ball dans les années 2000, Kobe Bryant a été accusé en 2003 de viol par une jeune femme travaillant dans l’hôtel dans lequel il était descendu. La jeune femme a porté plainte, et la procédure est rapidement devenue surmédiatisée. La défense de Kobe Bryant a tellement bien fait son travail (ou mal fait, d’un point de vue moral) que l’identité et des photos de la jeune femme ont fuité dans la presse. Son passé sexuel – traité comme un passif sexuel à ce stade – ses tentatives de suicide, ses dépressions ont été divulguées à la presse.

La jeune femme, harcelée, dénigrée, insultée, intimidée par des menaces de mort, a dû déménager et a finalement retiré sa plainte.

La présomption d’innocence a été appliquée, me direz-vous ? Oui et non, vous répondrais-je.

Le sportif n’a certes pas été condamné et est donc – judiciairement – innocent.

Mais s’il n’a pas été condamné, c’est parce que la victime a retiré sa plainte sous une pression médiatique insoutenable.

Elle a retiré sa plainte, alors même elle était sortie de la chambre d’hôtel de Kobe Bryant avec du sang sur ses vêtements, que Kobe Bryant avait lui-même du sang sur ses vêtements, qu’elle était immédiatement allée raconter ce qui venait d’arriver au concierge de l’hôtel et que des examens médicaux avaient été faits dans la foulée, prouvant qu’il y avait eu des lésions génitales.

Elle a retiré sa plainte, alors même que Kobe Bryant avait reconnu avoir eu des relations sexuelles avec elle ce soir-là. Mais il avait cru que c’était absolument consensuel.

Sous couvert d’anonymat, une jeune femme avait, à l’époque, expliqué à un journaliste avoir été également violée par Kobe Bryant, mais qu’il était hors de question de porter plainte vu le traitement médiatique qui avait été réservé à la jeune femme qui avait engagé les poursuites. Suite à cette affaire, le nombre de plaintes relatives à des abus sexuels a dramatiquement chuté au sein de l’université de la plaignante. Coïncidence ?

Certes, Kobe Bryant n’a pas été condamné. Mais pas pour les bonnes raisons, à mon sens. Cela ne dérange néanmoins personne de le fêter à Hollywood en mars 2018, heureux détenteur d’un Oscar qu’il est devenu. Tout cela en arborant fièrement un pin’s “Time’s Up” sur le smoking et la robe de soirée.

C’est ce que l’on appelle la politique du double standard.

Il est maintenant temps que la machine législative se mette en marche rapidement.

Il est maintenant temps que la parole judiciaire soit pleinement accordée aux femmes ayant subi des abus sexuels.

Il est maintenant temps que la présomption d’innocence soit respectée.

Il est maintenant temps que les tierces parties – celles qui n’ont pas d’information substantielle à apporter au débat mais portant haut une opinion qui n’intéresse finalement personne – se taisent, pour que l’on entende enfin la voix des seules personnes impliquées : victimes et accusés, justice et loi.

Dans des temps bien plus anciens, les sachants détenaient les clés de la connaissance et le peuple les écoutait. Aujourd’hui, chacun se croit sachant et plus personne n’écoute personne. C’est bien sûr devenu impossible, les réseaux sociaux permettant librement à tout un chacun de vilipender, d’insulter, de donner son opinion sur n’importe quel sujet ou dossier qu’il ne maîtrise absolument pas.

Bienvenu à cette nouvelle forme de harcèlement : la tyrannie de la démocratie. La chasse aux sorcières 2.0 peut commencer.

Et pendant ce temps-là, des femmes hurlent de douleur, enfermées dans leur silence.

Pendant ce temps-là, des hommes sont vilipendés sur la place publique ou alors unanimement fêtés alors qu’ils sont coupables – c’est selon.

Quel bordel.

5 Avril 2018

Marquis Paris - Family and Parc Monceau

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