CHENONCEAU

Cela peut paraître étrange, mais Chenonceau m’a laissé un sentiment mitigé d’émerveillement et de tristesse. L’endroit est de toute beauté, mais s’en dégage (outre une foule de touristes) une infinie mélancolie, qui tient à son histoire bien particulière, je pense.

Ce n’est pas pour rien qu’on baptise Chenonceau le château des dames : il y en a eu quelques-unes.

La première d’entre elles est Katherine Bohier, qui, avec son mari Thomas, fait raser le château médiéval existant pour n’en garder qu’une tour, et fait construire dès 1513 le château, qui ne comporte pas encore le pont et la galerie jetés au-dessus du fleuve.

A la mort de Thomas, Katherine disparait devant les preuves des malversations financières commises par son mari.

La seconde d’entre ces femmes est une grande figure de l’histoire galante française, Diane de Poitiers, maîtresse du roi Henri II. Âgée de plus de vingt ans que son royal amant, elle a son amour et son écoute pendant de très longues années. Elle a aussi Chenonceau, reçu en donation en 1547. Très attentive à sa beauté, elle se baigne régulièrement dans le Cher, par le truchement d’une porte dérobée dans les cuisines du château.

Très sportive, c’est elle qui fait construire le pont – car il ne s’agit que d’un pont à l’époque – afin de pouvoir chasser dans les bois profonds de la rive gauche.

Lorsque son royal amant meurt bêtement d’un coup de lance lors d’une joute, c’est la troisième dame de Chenonceau qui entre en scène. La veuve d’Henri II, Catherine de Médicis demande à Diane de Poitiers restitution du château de Chenonceau, en 1559. Catherine de Médicis règne depuis Chenonceau, et j’ose dire que son règne connaît les heures les plus sombres de l’histoire de France, balayées par les guerres de religion et la peste.

Cela étant, c’est Catherine qui fait construire à Chenonceau la galerie au-dessus du pont jeté par sa rivale et qui y donne quelques fêtes somptueuses, dont le bal des seins nus en 1577.

Son fils, le roi Henri III meurt assassiné en 1589 et laisse une veuve éplorée car très amoureuse, Louise de Savoie.

Louise prend le deuil des reines – le deuil blanc – pendant onze ans à Chenonceau. Sa chambre est peinte en noir et tous les éléments décoratifs de la pièce mettent en exergue son immense chagrin : peintures de plumes – symboles de peine immense – de cornes d’abondance inversées et prodiguant des larmes d’argent – ou de couronnes d’épines. C’est d’un lugubre achevé et achevant. Elle installe par ailleurs des nonnes dans les combles du château et c’est – basiquement – un couvent qui s’y installe puisqu’elles peuvent s’isoler du monde extérieur grâce à un pont-levis installé à l’intérieur même du château.

D’autres figures féminines ont heureusement laissé une empreinte plus joyeuse à Chenonceau – dont Louise Dupin, mais je ne peux m’empêcher de penser à ces dames de la Renaissance, que j’imagine dans cette grande galerie pavée de noir et de blanc, contemplant le Cher et les bois, et je trouve l’image d’une tristesse infinie.

Il faut dire que l’environnement de Chenonceau est assez particulier : les bois qui jouxtent le château sont profonds et sombres. Et en termes énergétiques, construire un bâtiment au-dessus d’un fleuve est assez peu usité, voire unique puisque c’est le seul château au monde construit au-dessus d’un fleuve, et l’on peut comprendre pourquoi : l’eau mouvante emporte tout, draine tout.

Les magnifiques jardins sur la rive droite – le jardin de Diane de Poitiers et le jardin de Catherine de Médicis, redonnent fort heureusement un peu de gaité et de légèreté à l’ensemble.

L’ensemble est tragiquement émouvant, d’une beauté absolue et, de tous les châteaux de la Loire que j’ai pu visiter, c’est celui qui me laisse le souvenir le plus prégnant.

20 Juillet 2017

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